Le mal l’a emporté. Je me retourne cette phrase dans
la tête depuis quelques jours et je ne vois aucune autre façon de formuler ce
qui s’est passé le mardi 8 novembre 2016, lorsque le peuple américain a élu
Donald Trump (simplement écrire son nom me donne froid dans le dos) comme 45e
président. La liste de ses défauts est longue comme le Chili est mince et je
doute que j’aie l’énergie et l’envie d’en faire la liste ici, mais il suffit de
dire que notre monde contemporain occidental est un peu moins sécuritaire, peu
moins aimant et beaucoup plus terrifiant.
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Un individu dont la plate-forme électorale ne
dépendait non pas d’issues politiques qui prenait les gens à cœur, mais qui
s’alimentait plutôt à la haine et l’ignorance. Nous sommes dans une situation
actuelle en 2016 où le président de la première puissance mondiale passe devant
le tribunal le mois prochain pour agression sexuelle sur un enfant de 13 ans
(s’il est reconnu coupable il deviendra un « registered sex
offender », ceux qui ont cette tâche à leur dossier et doivent l’annoncer
partout où ils vont, ça va être beau dans les rencontres diplomates!) et son
vice-président préfère détourner l’argent qui finance la lutte contre le sida
vers de la thérapie de conversion – un « traitement » où l’on
électrocute les homosexuels afin qu’ils arrêtent d’être gais…EN 2016. Ben
Carson, un favori comme ministre de l’Éducation, exprime des réserves par
rapport à LA THÉORIE DE L’ÉVOLUTION et Trump lui-même ne croit pas aux
changements climatiques (des faits scientifiques), un des plus terrifiants
aspects de sa campagne dont on parle moins. Ils ne s’arrêtent donc pas au
racisme et au sexisme, mais promettent ouvertement l’ignorance!
Lorsque les gens parlaient d’Hillary Clinton comme
étant le statuquo, je répondais systématiquement que de son côté, Trump
représentait le statuquo d’il y a 50 ans. Nous avons été 10 ans sous ministère
conservateur canadien, alors on sait de quoi l'on parle. Le peuple américain
qui vote pour « Make America Great Again » s’ennuie d’une Amérique
des années 50, d’un monde prérévolution sociale où les femmes ont un peu moins
de droits et les noirs encore moins. Au cours de cette course, le KKK – un
regroupement qui était une blague archaïque lorsque j’ai appris qu’ils
existaient à l’âge de 10 ans – est redevenu pertinent. En 2001, suite au 11
septembre, le pays a subi un vague d’islamophobie dont il fut difficile de se
défaire et qu’on croyait terminée. Mais ce que nous montre ces élections, c’est
que la haine n’avait jamais réellement quittée, elle n’était que dissimulée
sous la surface et avait besoin de quelqu’un pour la faire remonter, histoire
de l’empêcher de couler et se noyer.
Nous avons
passé le point de l’hyperbole et quiconque va critiquer un film pour son scénario
manichéen aura difficulté à me faire croire que le mal n’existe pas. Au cours
de la nuit de mardi à mercredi, le Ku Klux Klan célébrait et lorsque le Klan
célèbre, nous perdons tous. J’ai le privilège de l’homme blanc hétéro cis de
classe moyenne haute et ne serait probablement jamais affecté concrètement par
les changements au système puisque le système est fait par et pour des gens
comme moi et même moi je panique. Il est facile de se dire que nous sommes
québécois et loin de la chose, qu’il ne faut pas s’inquiéter avec cela, mais la
réalité est que plusieurs de mes amis très proches sont en état de détresse émotionnelle
face à la situation dans le monde plus que jamais. Dans mon appartement, notre
taux de câlin (ou « sadness hug ») a quadruplé depuis trois jours et
il est difficile de voir le bout. Les temps sont durs et en cette période de
noirceur, on cherche une inspiration vers laquelle se tourner. Depuis quelques
jours, je n’arrête pas de revenir à la saga fantastique de notre génération, Harry Potter et les parallèles avec
notre situation m’encouragent légèrement.
Dès le premier film, on apprend qu’il y a 10 ans, un
puissant sorcier du mal, Voldemort, a essayé de tuer Harry Potter, mais n’y est
pas arrivé et que depuis, il est caché dans les ombres, lèche ses plaies et
regroupe ses forces. Il n’est jamais parti et se cache en périphérie du monde
d’Harry pendant plusieurs films. Au cours des premiers films, chaque fois que
le mal intervient dans la vie d’Harry, il se cache sous les traits d’alliés,
que ce soit derrière le visage de Quirrel, une Ginny Weasley possédée par un
journal, Peter Pettigrew qui nous était d’abord présenté comme un ancien ami ou
Moody qui a guidé Harry jusqu’à la finale pour qu’il soit au bon moment pour
son exécution. Même avec Voldemort déchu, ses partisans ont préservé leur
maitre et ses idées, tapis dans les ombres, prêts à ressurgir dès que leur
dirigeant reviendrait. Lorsqu’il revient à la fin du quatrième opus, les choses
ont changé pour de bon et on croit que le moment pivot vient d’arriver.
Par contre, la lutte de the Order of the Phoenix, c’est de prouver la légitimité de la
menace qui est de retour. Personne ne veut croire que le mal (malgré les
preuves qui pointent le bout de leurs nez depuis toujours) est de retour et
préfère ne pas prendre en considération ou rejeter ceux qui déclarent que c’est
le cas. Les gens qui ont fermé les yeux ont permis au mal de revenir. On
préfère remettre en question Dumbledore et le démettre de ses fonctions. La
tension monte tranquillement et tandis que personne ne veut croire que la
situation est aussi grave qu’elle l’est réellement, les héros n’ont d’autres
choix que de travailler aussi dans les ombres jusqu’à ce que, lors de la
conclusion, le mal soit exposé pour de bon. Nous reviendrons à la suite des
choses, mais pour l’instant arrêtons-nous sur le cinquième film.
Dans cette histoire, ce ne sont pas directement les
forces du mal qui mettent des bâtons dans les roues aux héros, mais plutôt l’établissement
qui transforme l’école en dictature. De quelle façon est ce que Ombrage, la
véritable ennemi de ce film et l’un des vilains les plus viscéralement
détestables de l’histoire du cinéma, s’en prend aux jeunes? Tout d’abord, sous
sa première forme d’enseignante : elle évite de les éduquer. On dira ce
que l’on voudra sur le fonctionnement d’une école de sorcellerie qui met entre
les mains d’adolescent des armes potentiellement mortelles, au moins on leur
apprend à s’en servir avec responsabilité. On leur donne à l’école des cours
contre les forces du mal (déjà une indication que tout n’est pas rose) et
comment s’assurerait-on hypothétiquement d’aider les forces du mal? En
propageant de l’ignorance dans les salles de classe. Ce n’est pas un hasard que
le décor principal de cette lutte contre le mal est une école et qu’elle
devient littéralement un champ de bataille pour l’avenir en dernier chapitre.
L’ignorance est le plus grand outil de la noirceur.
Le concept du patronus est à la fois assez simpliste,
mais magnifique et puissant. Un souvenir positif que l’on tourne en arme de
lumière pour combattre la noirceur. Lorsqu’Hermione, Harry et Ron forment
l’Armée de Dumbledore, ils ne font pas qu’apprendre à se battre, ils vont
chercher du savoir et s’éduquent les uns les autres. Ils passent beaucoup de
temps sur les patronus et la puissance que peuvent avoir ces bons souvenirs.
Lorsqu'un souvenir positif est bien utilisé, il devient plus dévastateur que
toute haine ou ignorance – les principaux ennemis dans leur cas et le nôtre.
Dans le sixième film, les choses vont mal, mais la vie
continue et un complot se développe au sein même de l’école pour tuer le
directeur, le symbole de l’éducation, par un représentant de la race aryenne,
le beau jeune blond d’une bonne famille. Avec la mort de cette idole et grande
puissance pour garder les forces du mal éloignées, les choses basculent et en 7e
film, on croit tout perdu. Je cherche à me consoler quant à notre situation en
me disant que, dans notre monde, nous ne sommes pas en chapitre final de
l’histoire, ce n'est pas la « finale de la saison » comme disent certains,
avec un protofasciste qui accède au pouvoir, on pleure et le générique
embarque. Nous sommes plutôt au début de Harry Potter 7 lorsque le ministère
tombe, le ministre meurt et est remplacé par un servant de Voldemort (sans
surpris, Ombrage garde son poste au sein du ministère) et rien ne va plus. Aucun
endroit n’est sécuritaire et les servants de l’ombre ne sont plus que des
Mangemorts en cagoules du Klan noires, mais des fonctionnaires et gens normaux
qui craignent pour leurs vies et servent la dictature xénophobe. L’institution
est littéralement sous le contrôle du Seigneur des ténèbres.
La visée de Voldemort est de créer un monde plus pur,
où la race supérieure des sorciers domine et les inférieurs ne sont que
serviteurs sous le joug tout puissant des pur-sang. Il veut « Make the
Wizarding World Great Again ». La comparaison évidente se fait avec l’Allemagne
d’Hitler, mais nous n’avons maintenant plus besoin d’aller aussi loin, avec un
président américain vide d’empathie, qui fut élu sur une plateforme qui veut se
débarrasser de toutes impuretés à la nation. Un homme qui en veut aux droits
des musulmans, des Hispaniques, des noirs, des juifs, des LGBT et des femmes
fut élu sans en faire un secret qu’il détestait tout ce qui n’était pas lui et
les siens.
Mais les choses vont s’améliorer, elles doivent
s’améliorer. Je ne dis pas qu’il ne faut pas s’inquiéter, au contraire. Dans
les mois (et possiblement années) à venir, beaucoup de gens vont souffrir comme
conséquence directe de cette élection, certains citoyens du monde libres vont
se sentir moins en sécurité, nous pouvons partir nos chronomètres avant que le
premier journaliste se retrouve en prison et des gens risque de mourir dans le
climat de haine et de violence que propage Président Trump. Les législations
vont revenir en arrière d’une dizaine d’années et on a l’impression que tout
est en vain puisque tous les efforts pour le progrès, l’égalité et l’entraide
des dernières années peuvent être détruits si facilement (la première année va
être particulièrement douloureuse, je recommande aux homosexuels de se marier
plus tôt que tard). Mais c’est dans ces moments de noirceurs qu’il ne faut pas
abandonner, qu’il faut continuer à aller de l’avant, pousser contre le mal qui
va repousser plus fort et ne pas les laisser gagner du terrain. L’Ordre du
Phoenix ne cesse jamais d’exister et c’est lorsque la situation est à son pire
qu’elle est la plus vitale.
Concrètement, que peut-on faire? C’est difficile de ne
pas être trop simpliste, mais mon premier instinct pour combattre une
atmosphère de haine oppressante c’est par la bonté. Il est temps de peaufiner
nos patronus les amis puisque nous allons en avoir besoin plus que jamais. Je
ne peux pas dire aux autres quoi faire, mais je peux dire ce que moi je fais et
essayer de soit montrer l’exemple ou ouvrir une discussion. Je vais faire un
effort supplémentaire d’être plus tolérant avec mon prochain, plus patient avec
des étrangers, plus ouvert d’esprit avec le monde et les changements, plus
constructif dans mes critiques que négatif, faire attention à mes interactions
en ligne pour connecter plutôt que séparer et je vais essayer de faire passer
mes valeurs à travers ce que je fais, ce que je dis, ce que j’écris, pour
cultiver un environnement où les gens haïssent un peu moins. J’essaie de dire
que c’est déjà ce que je faisais, mais c’est devenu un effort conscient auquel
j’accorde de l’importance au quotidien.
Par contre, être plus gentil ne veut pas dire se faire
marcher sur les pieds et il est aussi important de ne pas hésiter à lever la
voix lorsque l’on constate une injustice ou de la violence (sous toutes ses
formes). L’ignorance étant aussi l’ennemi numéro 1 à combattre, il est
préférable de chercher à éduquer et informer plutôt qu’à débattre, puisque s’il
y a une chose qui est claire, c’est que Trump (et Voldemort) ne peuvent fonctionner
que si les gens sont effrayés et pas au courant. Nous sommes à l’apothéose de
« il faut écouter les deux côtés » ou « les deux opinions se
valent », des dictons inoffensifs en soit, mais qui furent corrompus en
couverture pour abriter tout ce qui est discours haineux ou ignorant. Nous
préférons avoir une opinion non informée qui pourrait potentiellement être
dommageable plutôt que d’admettre que nous ne sommes pas au courant et soit
laisser la conversation aux gens qui le savent, soit faire l’effort de
s’informer. Je suis une personne de nature à fuir le conflit à tout prix.
Confronter quelqu’un de quelque façon que ce soit me terrifie et c’est mon
combat personnel que je reporte depuis trop longtemps. Si l’état présent est
bon pour une chose, c’est mettre à jour mes résolutions personnelles et me
donner un coup de pied dans le derrière qu’il est temps que je me lève de mon
derrière et que je fasse un apport concret et positif au monde autour de moi. J’ai
baissé la tête dans les corridors et évité le regard de l’Escouade
d’Inquisition d’Ombrage depuis trop longtemps.
Dans ma comparaison avec Harry Potter, nous ne sommes
pas nécessairement les protagonistes. Aucun de nous n’est Harry, Ron ou
Hermione (I wish), puisque nous sommes plutôt des personnages secondaires et
figurants dans cette lutte – à moins que cela encourage l’un de vous à faire ce
qu’il faut pour devenir une personne de suffisamment de poids pour influencer
cette situation, more power to you. Pendant que je vous écris cela, je suis
persuadé que des politiciens bien intentionnés font tout en leur pouvoir pour
limiter les dégâts d’une présidence Trump. Obama et son entourage sont en mode
préventive pour le prochain mois et demi. Des journalistes sont probablement en
train d’enquêter pour chercher un crime assez grave pour forcer l’arrêt de ses
fonctions (quoi qu’à moins d’un meurtre, je doute qu’ils puissent trouver
quelque chose d’assez sérieux). Pareillement, dans the Deathly Hallows, tandis que le trio de protagonistes est dans
leur quête pour trouver les horcruxes, le reste des personnages continuent leur
quotidien, vont à l’école et vivent leurs vies, mais cela ne veut pas dire
qu’ils restent assis à attendre. Par leurs désobéissances, les jumeaux Weasley
font beaucoup pour combattre la dictature et encore plus lorsqu’ils ouvrent
leur magasin rempli de rires et d’espoirs. Neville, Ginny, Luna et plusieurs
autres continuent d’aller à l’école, mais tiennent tête aux brutes et gardent
en vie la résistance à travers des petits actes anodins d’une immense bravoure.
Nous ne sommes peut-être pas les politiciens,
sénateurs ou faiseurs de lois, mais nous sommes des citoyens qui interagissons
avec d’autres citoyens et c’est avec des votes populaires que les politiciens
remportent des élections (sauf dans le cas de Trump, qui a perdu au vote
populaire par 2 millions de voies). Donc, peut-être (et c’est un gros peut-être)
qu’en redoublant d’effort et qu’en faisant notre possible pour promouvoir le
rapprochement afin de combattre la séparation, la connaissance afin de
combattre l’ignorance et l’amour afin de combattre la haine que nous allons
réussir à traverser cette dure période pour en ressortir de l’autre côté plus
grand et unis. Alors, sortez vos baguettes et commencez à pratiquer vos
patronus, ils risquent d’être utiles plus tôt que tard.
Je vais vous laisser sur ces deux citations d’Albus
Dumbledore qui s’accordent le mieux avec la situation (même s’il y en a une
dizaine d’autres qui pourrait aussi être pertinente) :
“It is important to fight
and fight again, and keep fighting, for only then can evil be kept at bay
though never quite eradicated.”
“Dark times lie ahead of
us and there will be a time when we must choose between what is easy and what
is right.”