samedi 12 novembre 2016

Harry Potter et la haine institutionalisée


Le mal l’a emporté. Je me retourne cette phrase dans la tête depuis quelques jours et je ne vois aucune autre façon de formuler ce qui s’est passé le mardi 8 novembre 2016, lorsque le peuple américain a élu Donald Trump (simplement écrire son nom me donne froid dans le dos) comme 45e président. La liste de ses défauts est longue comme le Chili est mince et je doute que j’aie l’énergie et l’envie d’en faire la liste ici, mais il suffit de dire que notre monde contemporain occidental est un peu moins sécuritaire, peu moins aimant et beaucoup plus terrifiant.



Un individu dont la plate-forme électorale ne dépendait non pas d’issues politiques qui prenait les gens à cœur, mais qui s’alimentait plutôt à la haine et l’ignorance. Nous sommes dans une situation actuelle en 2016 où le président de la première puissance mondiale passe devant le tribunal le mois prochain pour agression sexuelle sur un enfant de 13 ans (s’il est reconnu coupable il deviendra un « registered sex offender », ceux qui ont cette tâche à leur dossier et doivent l’annoncer partout où ils vont, ça va être beau dans les rencontres diplomates!) et son vice-président préfère détourner l’argent qui finance la lutte contre le sida vers de la thérapie de conversion – un « traitement » où l’on électrocute les homosexuels afin qu’ils arrêtent d’être gais…EN 2016. Ben Carson, un favori comme ministre de l’Éducation, exprime des réserves par rapport à LA THÉORIE DE L’ÉVOLUTION et Trump lui-même ne croit pas aux changements climatiques (des faits scientifiques), un des plus terrifiants aspects de sa campagne dont on parle moins. Ils ne s’arrêtent donc pas au racisme et au sexisme, mais promettent ouvertement l’ignorance!

Lorsque les gens parlaient d’Hillary Clinton comme étant le statuquo, je répondais systématiquement que de son côté, Trump représentait le statuquo d’il y a 50 ans. Nous avons été 10 ans sous ministère conservateur canadien, alors on sait de quoi l'on parle. Le peuple américain qui vote pour « Make America Great Again » s’ennuie d’une Amérique des années 50, d’un monde prérévolution sociale où les femmes ont un peu moins de droits et les noirs encore moins. Au cours de cette course, le KKK – un regroupement qui était une blague archaïque lorsque j’ai appris qu’ils existaient à l’âge de 10 ans – est redevenu pertinent. En 2001, suite au 11 septembre, le pays a subi un vague d’islamophobie dont il fut difficile de se défaire et qu’on croyait terminée. Mais ce que nous montre ces élections, c’est que la haine n’avait jamais réellement quittée, elle n’était que dissimulée sous la surface et avait besoin de quelqu’un pour la faire remonter, histoire de l’empêcher de couler et se noyer.

 Nous avons passé le point de l’hyperbole et quiconque va critiquer un film pour son scénario manichéen aura difficulté à me faire croire que le mal n’existe pas. Au cours de la nuit de mardi à mercredi, le Ku Klux Klan célébrait et lorsque le Klan célèbre, nous perdons tous. J’ai le privilège de l’homme blanc hétéro cis de classe moyenne haute et ne serait probablement jamais affecté concrètement par les changements au système puisque le système est fait par et pour des gens comme moi et même moi je panique. Il est facile de se dire que nous sommes québécois et loin de la chose, qu’il ne faut pas s’inquiéter avec cela, mais la réalité est que plusieurs de mes amis très proches sont en état de détresse émotionnelle face à la situation dans le monde plus que jamais. Dans mon appartement, notre taux de câlin (ou « sadness hug ») a quadruplé depuis trois jours et il est difficile de voir le bout. Les temps sont durs et en cette période de noirceur, on cherche une inspiration vers laquelle se tourner. Depuis quelques jours, je n’arrête pas de revenir à la saga fantastique de notre génération, Harry Potter et les parallèles avec notre situation m’encouragent légèrement.

Dès le premier film, on apprend qu’il y a 10 ans, un puissant sorcier du mal, Voldemort, a essayé de tuer Harry Potter, mais n’y est pas arrivé et que depuis, il est caché dans les ombres, lèche ses plaies et regroupe ses forces. Il n’est jamais parti et se cache en périphérie du monde d’Harry pendant plusieurs films. Au cours des premiers films, chaque fois que le mal intervient dans la vie d’Harry, il se cache sous les traits d’alliés, que ce soit derrière le visage de Quirrel, une Ginny Weasley possédée par un journal, Peter Pettigrew qui nous était d’abord présenté comme un ancien ami ou Moody qui a guidé Harry jusqu’à la finale pour qu’il soit au bon moment pour son exécution. Même avec Voldemort déchu, ses partisans ont préservé leur maitre et ses idées, tapis dans les ombres, prêts à ressurgir dès que leur dirigeant reviendrait. Lorsqu’il revient à la fin du quatrième opus, les choses ont changé pour de bon et on croit que le moment pivot vient d’arriver.

Par contre, la lutte de the Order of the Phoenix, c’est de prouver la légitimité de la menace qui est de retour. Personne ne veut croire que le mal (malgré les preuves qui pointent le bout de leurs nez depuis toujours) est de retour et préfère ne pas prendre en considération ou rejeter ceux qui déclarent que c’est le cas. Les gens qui ont fermé les yeux ont permis au mal de revenir. On préfère remettre en question Dumbledore et le démettre de ses fonctions. La tension monte tranquillement et tandis que personne ne veut croire que la situation est aussi grave qu’elle l’est réellement, les héros n’ont d’autres choix que de travailler aussi dans les ombres jusqu’à ce que, lors de la conclusion, le mal soit exposé pour de bon. Nous reviendrons à la suite des choses, mais pour l’instant arrêtons-nous sur le cinquième film.

Dans cette histoire, ce ne sont pas directement les forces du mal qui mettent des bâtons dans les roues aux héros, mais plutôt l’établissement qui transforme l’école en dictature. De quelle façon est ce que Ombrage, la véritable ennemi de ce film et l’un des vilains les plus viscéralement détestables de l’histoire du cinéma, s’en prend aux jeunes? Tout d’abord, sous sa première forme d’enseignante : elle évite de les éduquer. On dira ce que l’on voudra sur le fonctionnement d’une école de sorcellerie qui met entre les mains d’adolescent des armes potentiellement mortelles, au moins on leur apprend à s’en servir avec responsabilité. On leur donne à l’école des cours contre les forces du mal (déjà une indication que tout n’est pas rose) et comment s’assurerait-on hypothétiquement d’aider les forces du mal? En propageant de l’ignorance dans les salles de classe. Ce n’est pas un hasard que le décor principal de cette lutte contre le mal est une école et qu’elle devient littéralement un champ de bataille pour l’avenir en dernier chapitre. L’ignorance est le plus grand outil de la noirceur.

Le concept du patronus est à la fois assez simpliste, mais magnifique et puissant. Un souvenir positif que l’on tourne en arme de lumière pour combattre la noirceur. Lorsqu’Hermione, Harry et Ron forment l’Armée de Dumbledore, ils ne font pas qu’apprendre à se battre, ils vont chercher du savoir et s’éduquent les uns les autres. Ils passent beaucoup de temps sur les patronus et la puissance que peuvent avoir ces bons souvenirs. Lorsqu'un souvenir positif est bien utilisé, il devient plus dévastateur que toute haine ou ignorance – les principaux ennemis dans leur cas et le nôtre.

Dans le sixième film, les choses vont mal, mais la vie continue et un complot se développe au sein même de l’école pour tuer le directeur, le symbole de l’éducation, par un représentant de la race aryenne, le beau jeune blond d’une bonne famille. Avec la mort de cette idole et grande puissance pour garder les forces du mal éloignées, les choses basculent et en 7e film, on croit tout perdu. Je cherche à me consoler quant à notre situation en me disant que, dans notre monde, nous ne sommes pas en chapitre final de l’histoire, ce n'est pas la « finale de la saison » comme disent certains, avec un protofasciste qui accède au pouvoir, on pleure et le générique embarque. Nous sommes plutôt au début de Harry Potter 7 lorsque le ministère tombe, le ministre meurt et est remplacé par un servant de Voldemort (sans surpris, Ombrage garde son poste au sein du ministère) et rien ne va plus. Aucun endroit n’est sécuritaire et les servants de l’ombre ne sont plus que des Mangemorts en cagoules du Klan noires, mais des fonctionnaires et gens normaux qui craignent pour leurs vies et servent la dictature xénophobe. L’institution est littéralement sous le contrôle du Seigneur des ténèbres.

La visée de Voldemort est de créer un monde plus pur, où la race supérieure des sorciers domine et les inférieurs ne sont que serviteurs sous le joug tout puissant des pur-sang. Il veut « Make the Wizarding World Great Again ». La comparaison évidente se fait avec l’Allemagne d’Hitler, mais nous n’avons maintenant plus besoin d’aller aussi loin, avec un président américain vide d’empathie, qui fut élu sur une plateforme qui veut se débarrasser de toutes impuretés à la nation. Un homme qui en veut aux droits des musulmans, des Hispaniques, des noirs, des juifs, des LGBT et des femmes fut élu sans en faire un secret qu’il détestait tout ce qui n’était pas lui et les siens.

Mais les choses vont s’améliorer, elles doivent s’améliorer. Je ne dis pas qu’il ne faut pas s’inquiéter, au contraire. Dans les mois (et possiblement années) à venir,  beaucoup de gens vont souffrir comme conséquence directe de cette élection, certains citoyens du monde libres vont se sentir moins en sécurité, nous pouvons partir nos chronomètres avant que le premier journaliste se retrouve en prison et des gens risque de mourir dans le climat de haine et de violence que propage Président Trump. Les législations vont revenir en arrière d’une dizaine d’années et on a l’impression que tout est en vain puisque tous les efforts pour le progrès, l’égalité et l’entraide des dernières années peuvent être détruits si facilement (la première année va être particulièrement douloureuse, je recommande aux homosexuels de se marier plus tôt que tard). Mais c’est dans ces moments de noirceurs qu’il ne faut pas abandonner, qu’il faut continuer à aller de l’avant, pousser contre le mal qui va repousser plus fort et ne pas les laisser gagner du terrain. L’Ordre du Phoenix ne cesse jamais d’exister et c’est lorsque la situation est à son pire qu’elle est la plus vitale. 

Concrètement, que peut-on faire? C’est difficile de ne pas être trop simpliste, mais mon premier instinct pour combattre une atmosphère de haine oppressante c’est par la bonté. Il est temps de peaufiner nos patronus les amis puisque nous allons en avoir besoin plus que jamais. Je ne peux pas dire aux autres quoi faire, mais je peux dire ce que moi je fais et essayer de soit montrer l’exemple ou ouvrir une discussion. Je vais faire un effort supplémentaire d’être plus tolérant avec mon prochain, plus patient avec des étrangers, plus ouvert d’esprit avec le monde et les changements, plus constructif dans mes critiques que négatif, faire attention à mes interactions en ligne pour connecter plutôt que séparer et je vais essayer de faire passer mes valeurs à travers ce que je fais, ce que je dis, ce que j’écris, pour cultiver un environnement où les gens haïssent un peu moins. J’essaie de dire que c’est déjà ce que je faisais, mais c’est devenu un effort conscient auquel j’accorde de l’importance au quotidien.

Par contre, être plus gentil ne veut pas dire se faire marcher sur les pieds et il est aussi important de ne pas hésiter à lever la voix lorsque l’on constate une injustice ou de la violence (sous toutes ses formes). L’ignorance étant aussi l’ennemi numéro 1 à combattre, il est préférable de chercher à éduquer et informer plutôt qu’à débattre, puisque s’il y a une chose qui est claire, c’est que Trump (et Voldemort) ne peuvent fonctionner que si les gens sont effrayés et pas au courant. Nous sommes à l’apothéose de « il faut écouter les deux côtés » ou « les deux opinions se valent », des dictons inoffensifs en soit, mais qui furent corrompus en couverture pour abriter tout ce qui est discours haineux ou ignorant. Nous préférons avoir une opinion non informée qui pourrait potentiellement être dommageable plutôt que d’admettre que nous ne sommes pas au courant et soit laisser la conversation aux gens qui le savent, soit faire l’effort de s’informer. Je suis une personne de nature à fuir le conflit à tout prix. Confronter quelqu’un de quelque façon que ce soit me terrifie et c’est mon combat personnel que je reporte depuis trop longtemps. Si l’état présent est bon pour une chose, c’est mettre à jour mes résolutions personnelles et me donner un coup de pied dans le derrière qu’il est temps que je me lève de mon derrière et que je fasse un apport concret et positif au monde autour de moi. J’ai baissé la tête dans les corridors et évité le regard de l’Escouade d’Inquisition d’Ombrage depuis trop longtemps.

Dans ma comparaison avec Harry Potter, nous ne sommes pas nécessairement les protagonistes. Aucun de nous n’est Harry, Ron ou Hermione (I wish), puisque nous sommes plutôt des personnages secondaires et figurants dans cette lutte – à moins que cela encourage l’un de vous à faire ce qu’il faut pour devenir une personne de suffisamment de poids pour influencer cette situation, more power to you. Pendant que je vous écris cela, je suis persuadé que des politiciens bien intentionnés font tout en leur pouvoir pour limiter les dégâts d’une présidence Trump. Obama et son entourage sont en mode préventive pour le prochain mois et demi. Des journalistes sont probablement en train d’enquêter pour chercher un crime assez grave pour forcer l’arrêt de ses fonctions (quoi qu’à moins d’un meurtre, je doute qu’ils puissent trouver quelque chose d’assez sérieux). Pareillement, dans the Deathly Hallows, tandis que le trio de protagonistes est dans leur quête pour trouver les horcruxes, le reste des personnages continuent leur quotidien, vont à l’école et vivent leurs vies, mais cela ne veut pas dire qu’ils restent assis à attendre. Par leurs désobéissances, les jumeaux Weasley font beaucoup pour combattre la dictature et encore plus lorsqu’ils ouvrent leur magasin rempli de rires et d’espoirs. Neville, Ginny, Luna et plusieurs autres continuent d’aller à l’école, mais tiennent tête aux brutes et gardent en vie la résistance à travers des petits actes anodins d’une immense bravoure.

Nous ne sommes peut-être pas les politiciens, sénateurs ou faiseurs de lois, mais nous sommes des citoyens qui interagissons avec d’autres citoyens et c’est avec des votes populaires que les politiciens remportent des élections (sauf dans le cas de Trump, qui a perdu au vote populaire par 2 millions de voies).  Donc, peut-être (et c’est un gros peut-être) qu’en redoublant d’effort et qu’en faisant notre possible pour promouvoir le rapprochement afin de combattre la séparation, la connaissance afin de combattre l’ignorance et l’amour afin de combattre la haine que nous allons réussir à traverser cette dure période pour en ressortir de l’autre côté plus grand et unis. Alors, sortez vos baguettes et commencez à pratiquer vos patronus, ils risquent d’être utiles plus tôt que tard.



Je vais vous laisser sur ces deux citations d’Albus Dumbledore qui s’accordent le mieux avec la situation (même s’il y en a une dizaine d’autres qui pourrait aussi être pertinente) :

“It is important to fight and fight again, and keep fighting, for only then can evil be kept at bay though never quite eradicated.” 
“Dark times lie ahead of us and there will be a time when we must choose between what is easy and what is right.”

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