mardi 13 octobre 2015

La loi du marché

Directeur : Stéphane Brizé
Réalisé en 2015. Bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=tEa1J_iqnZk
Synopsis : Thierry navigue le marché de l'emploi après avoir récemment perdu son dernier boulot.
Vu dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma 2015.


La précarité financière est une insécurité omniprésente qui n’épargne personne (de la classe moyenne et en dessous) et c’est exactement cette tension latente qui règne sur La loi du marché, un film sur une recherche d’emploi et une constatation désolante de la réalité de ce monde. À travers une caméra très proche du documentaire, le film de Stéphane Brizé nous offre un regard juste, sans détournements, sur un homme (Vincent Lindon), sa vie et ce rapport au métier dans un marché en constantes fluctuations.

Tel La moitié gauche du frigo de Falardeau, en suivant les aléas d’un cas spécifique qui navigue le monde de l’emploi, Brizé peut ainsi faire un constatation globale sur notre capitaliste occidental et une industrie qui n’offre aucune individualité dans un système destiné à l’efficacité. Thierry vient de perdre son emploi et doit rapidement rembarqué sur le cheval professionnel puisqu’il est loin de rouler dans l’or et les dépenses ne font que continuer à s’accumuler. À travers des petits moments anodins (entrevues, rencontres avec un conseiller en finances, cours pour passer des entrevues), il devient rapidement clair que la majorité de sa vie n’est destinée qu’à gérer sa situation économique.

Chaque scène est empreinte d’un malaise qui vient perpétuellement miner l’estime de soi du protagoniste qui est, somme toute, une personne exemplaire. Sans être trop chaleureux ou aimable, il n’en est pas moins fier et juste et le jeu de Lindon le rend incroyablement naturel et identifiable. Cet homme a un vécu remarquable et cette recherche qui le ramène à la case départ est une atteinte à sa dignité qu’il ne laisse jamais paraitre explicitement.

Sans être lourd ou mélodramatique, le malaise latent de chaque moment est d’une puissance incroyable, nous positionnant sans relâche dans chacune des luttes quotidiennes de cet homme. Même les quelques moments de légèreté (un cours de danse, un repas en famille) sont empreints d’une mélancolie et d’une tristesse qui souligne que c’est ce à quoi se résument leurs vies : compromis financiers et entrevues humiliantes se succèdent pour subvenir à leurs besoins vitaux et à l’éducation spécialisée de leur fils, avec quelques rares instances de simples bonheurs loin d’être trop excitants.

Le jeu des acteurs (ou plutôt de non-acteurs) est d’un naturalisme saisissant. Les bégaiements, hésitations et répétitions ne sont jamais trop poussées pour attirer l’attention et créent vraiment le sentiment que nous avons affaire à des personnes de chairs et de sangs qui n’arrêtent pas d’exister lorsque la caméra elle arrête de tourner. Le réalisateur utilise une caméra épaule qu’il place toujours très près de ses acteurs, avec un cadre mouvant qui nous positionne inconfortablement dans la pièce en leur compagnie, rajoutant au côté documentaire.

Cette lutte perpétuelle vient réellement frapper et, sans manipulations (en dehors d’un moment qui sert de catalyseur à la finale), crée une expérience qui marque. L’intimité que se permet la direction rend l’expérience proche du voyeurisme, mais cela entraine un inévitable malaise qui renforce le propos du film d’une façon élégante et efficace. La loi du marché est d’une actualité gênante, plongeant au cœur d’une réalité contemporaine dont on ne parle pas assez. 

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