dimanche 14 décembre 2014

Qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu?

Directeur : Philipe de Chauveron
Réalisé en 2014. Avec : Christian Clavier (Claude) et Chantal Lauby (Marie)


Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu? n’est pas raciste. Par contre, cela ne l’empêche pas ultimement d’avoir un message problématique par rapport au racisme. Il n’est pas raciste puisqu’il établit très clairement et rapidement son approche égalitaire à la situation, montrant tout de suite que c’est un problème répandu qui touche toutes les cultures qui sont empreintes de préjugés ignorants. Il me rappelle quelque peu Avatar avec son message de paix pour excuser sa complaisance dans de spectaculaires séquences de combats et de guerre. Lorsque le film joue avec les trois gendres, qui sont arabe, juif et chinois, il démontre rapidement son point qu’ils viennent de cultures différentes, mais lorsqu’on laisse tomber ses assomptions ridicules, ils sont, au fond, des Français qui ont grandi dans plusieurs environnements. Le message final qu’être racisme c’est mal et il faut voir par-dessus nos différences pour s’apprécier pleinement est tout correct, mais c’est lorsqu’on en arrive au personnage de Christian Clavier que les choses se corsent. (Je vais parler presque exclusivement de la résolution finale, donc si vous voulez évitez de vous faire gâcher la fin, qui est somme toute prévisible pour ce genre de film bonbon tout public, désolé, mais c’est ici que vous vous arrêtez.)


Christian Clavier joue le père de famille conservateur, un bourgeois notaire gaulliste catholique qui habite sur une énorme propriété et est particulièrement bien nanti. L’idée est qu’il est raciste, mais aussi raciste que ses gendres entre eux et il est rapidement associé au père de son nouveau futur-gendre qui vient de la Côte d’Ivoire, lui aussi raciste envers les blancs. Oui, son racisme envers les blancs est aussi ignorant et ses commentaires sont gratuits et infondés, mais cette attitude est ancrée dans quelque chose de concret, une histoire qui implique des siècles d’esclavages et d’abus colonialistes qui ne sont plus présents au sens littéral du terme, mais laissent des tâches indélébiles dans des attitudes encore aujourd’hui (regarder l’actualité et Ferguson pour un exemple aberrant de la chose).

Mettre sur un pied d’égalité le racisme de blanc bourgeois bien nantis et celui d’un homme noir est un problème qui est typique de notre approche privilégiée au racisme « Nous aussi certaines personnes ont des préjugés envers nous! », mais le racisme envers les blancs est un faux concepts qui ne justifie quoi que ce soit, puisque le racisme implique effectivement « une discrimination basée sur la race », mais on peut difficilement te discriminer lorsque tu as tous les pouvoirs sur la planète depuis environ 1300 ans. Ainsi, justifier le racisme des blancs par les insultes des diverses ethnicités qui les entourent est irresponsable, ignorant la réalité socio-économique et ne sert qu’à rassurer aux gens qu’ils ne sont pas racistes (ou pire, qu’ils se sentent mieux à propos de leur propre racisme) au lieu d’aller au cœur des vrais problèmes, un problème de racisme institutionnalisé qui est encore présent et qui opprime des minorités en occident encore aujourd’hui.* La résolution est seulement dans l’histoire spécifique et ne règle vraiment rien, puisqu’il avait déjà appris, lors de la séquence de la Marseillaise, à apprécier les minorités dans sa famille (qui sont tout de même de beaux, sympathiques et prospères gaillards). Par contre un nouveau conflit (/ethnicité) apparaît et il réapprend la même leçon lors de la finale, mais avec un noir cette fois ci!


Puisque je suis conscient de mon approche qui semble très négative, je vais parler de choses positives avant de retomber dans mon problème final. Le film illustre très bien les nuances de diversité, nous offrant des personnages qui sont loin d’être stéréotypés. Ils montrent une flexibilité de mœurs, sans n’être que « des blancs catholiques » joués par des acteurs aux différentes ethnicités. Ils se distinguent encore plus par leurs personnalités que par leurs origines. Pascal N'Zonzi est ma partie favorite du film, il est drôle dans chaque scène, amenant une sérieux et une gravité à son personnage qui se donne tellement d’importance que son dépaysement et insignifiance lorsqu'il se retrouve dans l’environnement de la bourgeoisie française rajoute encore plus aux gags. Son regard est d’une intensité qui nous permet de tout comprendre sur les émotions du personnage sans qu’il n’ait à ouvrir la bouche. Bon, ça suffit les éloges.

Le film n’est peut-être pas raciste, mais qu’est-ce qu’il est sexiste. Les personnages sont techniquement 50% féminins, mais aucun d’eux n’est réellement un personnage, en dehors de la mère, qui ne sert qu’à réagir à ce que le père fait. Les 3 filles n’entreprennent aucune action pour influencer le déroulement de l’histoire et ne font que subir, tandis que leurs maris se lient les uns aux autres et au père. Une seule à un trait caractéristique et c’est sa sensibilité qui la fait pleurer constamment (ce qui est, je l’admets, très amusant). La 4e sœur, Laure, qui est la plus « présente » dans le film, ne fait qu’accepter sa demande de mariage pour ensuite, systématiquement à chaque scène, hésiter ou ouvertement regretter cette décision, jusqu’à ce que les figures paternelles règlent leurs problèmes et elle se sent ainsi permise d'épouser son copain africain. La plus grande action de ce personnage sans volonté propre se résume à annuler le mariage et embarquer dans un train (pourquoi exactement?), se résignant à agir comme son père lui demande, signifiant qu'elle ne pourra être heureuse que si elle marie un blanc catholique qui a le sceau d'approbation de ses parents. Même la mère n’a pas sa propre ligne narrative et lorsqu’elle semble être devenue plus autonome, revient sans questions vers son mari lorsqu’il change d’avis sur le nouveau membre de la famille.

Image honteusement représentative.
L’intrigue de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu? implique essentiellement un groupe d’hommes qui doivent régler leurs différents pour que les femmes dans leurs entourage puissent être heureuses, sans qu’elle n’agissent ou aient quoi que ce soit à faire avec leurs situations. Le langage qu’ont les hommes entre eux est très problématique et à un seul moment est-il souligné (« alors on est des part de gâteau maintenant? »), mais il est rapidement justifié (« mais chérie, c’est une image ») et toutes semblent heureuses avec cette résolution. Mais le répertoire est toujours si machiste et condescendant, objectifiant des fois leurs femmes comme si elles n’étaient pas là lorsqu’elles sont dans la même pièce et tout ce qu’elles font c’est rouler les yeux lorsqu’ils agissent en enfants, discuter d'histoire de familles sérieuses, faire la vaisselle et être casse-pieds. C'est un groupe de femmes qui représentent parfaitement le stéréotype de "la femme qui désapprouve lorsque l’homme, le vrai centre d’intérêt, fait des conneries". Oui, il fait des conneries irresponsables, mais c'est ce qui fait rire l'audience et la mégère devient automatiquement rabat-joie pour le public, le contraire de Rose Byrne dans Neighbors, un film qui règle de façon exemplaire ce problème avec le débat sur qui a droit au statu de "Kevin James".

En conclusion, je comprends parfaitement l’attrait du film, une zone de sécurité où il est accepté socialement de rire aux blagues racistes et mettre un petit baume sur cette partie de nous pour lequel tout le reste de la société nous fait sentir coupable. Un film « feel-good », même s’il reste hypocrite, fait du bien de temps en temps et il est simplement important de comprendre que malgré tout, le racisme est effectivement une attitude nocive qui est loin d’être réglé dans notre monde.

MUK

*Histoire vraie : je suis rentré chez moi après ce film pour tout de suite écouter Do the Right Thing et le contraste des approches est frappant, si vous chercher un film qui comprend la situation et va au coeur du problème...réalisé il y a 25 ans...

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