dimanche 24 mai 2015

Mad Max : Fury Road

Directeur : George Miller
Réalisé en 2015. Avec : Tom Hardy (Max Rockatansky), Charlize Theron (Imperator Furiosa), Nicholas Hoult (Nux), Hugh Keays-Byrne (Immortan Joe) et Rosie Huntington-Whiteley (The Splendid Angharad)


Le cinéma, distillé à sa composante la plus essentielle, est un art de l’image en mouvement. Logiquement, le cinéma d’action est un des formes les plus pures de cette forme d’art, puisqu’il repose sur le côté visuel avant tout. En suivant cette piste de réflexion, Mad Max : Fury Road est l’un des films les plus cinématographiques de l’année - et même plus!

Il y a six ans, lorsque George Miller entame un retour à sa franchise des années 80, il s’associe à Brendan McCarthy, un artiste de bandes dessinées, pour élaborer les grandes lignes de son futur projet. 3000 planches illustrées plus tard, ils ont en leur possession l’équivalent d’un « scénario » visuel, un plan détaillé de l’ensemble du film, sans une ligne de texte écrite. Citant une inspiration dans le cinéma muet, Miller met de l’avant les pleines capacités du cinéma en racontant une histoire qui ne tiendrait sur aucun autre médium.

L’efficacité maîtresse

Très peu est explicité en dialogues et beaucoup d’information passe dans l’image, même la narration d’ouverture fonctionne plus comme introduction sans réellement dire quoi que ce soit sur l’univers qui va progressivement se dévoiler sous nos yeux. Chaque plan de l’ouverture dans la Citadelle est rempli à craquer d’informations, tellement qu’il est très facile de rater ce qui rend ce monde particulièrement détaillé. Le décor mélange la déshumanisation du travailleur de Metropolis avec la richesse humaine de la ville maya adjacente aux divines pyramides d’Apocalypto. Cette esthétique et attention du détail évoquent un univers entier, habité et vivant.  Avant même que la tension centrale soit établie, la dynamique de pouvoirs et la situation est mise en place avec une grande efficacité (le mot d’ordre à travers tout le film).

Certains vont déplorer l’absence de scénario, mais l’histoire est présente, elle est simplement mise en contexte par une unique scène d’action qui encadre tout le film. La poursuite pour aller du point A au point B avec des attaquants aux talons est à peu près aussi élaborée que la trilogie de Lord of the Rings, mais avec moins de personnages et de revirements qui divergent de la quête centrale. Encore une fois, cette efficacité avant tout fait que tout information pertinente sur les personnages, l’intrigue et les thèmes est condensé et transformée en actions plutôt qu’en dialogues.

Avec l’aide d’une générale, les esclaves sexuelles d’un dictateur barbares s’évadent de son joug. Puisque la situation sanitaire est catastrophique, la reproduction de descendants viables est presque impossible. Les femmes/prisonnières du dirigeant sont donc sa « possession » la plus valable. Digne d’Agamemnon et Ménélas qui déploient toutes les armées de la Grèce sur Troie pour récupérer Hélène, Immortan Joe (Hugh Keays-Byrne) libère l’étendue de ses forces et alliances sur l’unique véhicule contenant « l’objet » convoité. S’ensuit une explosive course effrénée à travers le désert d’une durée de 120 minutes.

Mad Max : Fury Road entre évidemment dans le genre du « film d’action », mais c’est avant tout un film - d’actions. Furiosa (Charlize Theron), Nux (Nicholas Hoult), les femmes et Max (Tom Hardy) ont très peu de lignes pour établir qui ils sont ou leurs motivations. Ainsi, toute cette information doit se transmettre par la façon dont ils agissent lors des multiples périls qu’ils doivent traverser. Lorsque Max laisse les femmes au volant, offrant d’aller réparer le moteur, il verbalise simplement « I’ll do it » et dans ce simple moment révèle beaucoup plus : sa confiance, sa volonté à l’entraide et ses nouvelles allégeances. Dans un moment d’une énorme puissance, The Splendid Angharad (Rosie Huntington-Witheley) se réapproprie son corps en l’utilisant comme bouclier contre leur sauvage poursuivant. Sans un seul mot elle communique courage et détermination. Lorsque les femmes décident d’épargner Nux, elles démontrent une incroyable compréhension de la situation. Ce dernier ne sait pas reconnaitre un arbre, exprimant indirectement l’étendu de la désolation dans laquelle le monde fut plongé. L’entièreté du film est parsemée de subtils moments de personnages qui permettent discrètement de comprendre à qui nous avons affaire.

Un revirement de protagoniste

De tous les personnages principaux, il est intéressant de remarquer que Max est ici relégué au figuratif siège passager, se révélant être un allié dans la quête de l’Impératrice Furiosa plutôt que le contraire. En réutilisant plus ou moins la structure des deux dernières aventures du héros, Miller cimente plus que jamais l’éponyme personnage comme étant notre point d’entrée dans cet univers déjanté. Il est la paire d’yeux à travers laquelle nous voyons ce monde, mais est loin d’être le véritable intérêt. Il fait plutôt office de la mythique figure de L’homme sans nom du western, le vagabond solitaire au code moral qui se retrouve constamment à aider dans des situations sans enjeux personnels. Il erre éternellement les déserts, à la recherche de son identité, forgé par les traumatismes du passé.

Tom Hardy s’approprie dignement l’ancien rôle de Mel Gibson. Avec très peu de dialogues et beaucoup de marmonnements, ce sont les profonds yeux évocateurs de l’homme torturé qui font le plus gros du travail. Le changement d’acteur ne distrait pas réellement, considérant l’essence iconique du personnage, tel James Bond ou Batman. Charlize Theron interprète la protagoniste secrète du film, chargée de donner vie à un personnage à l’historique minimal, évoquant plus qu’expliquant. En quête d’une rédemption mystérieuse, elle doit amener une motivation jamais expliquée à son personnage tout en servant de point d’ancrage aux femmes en prenant part activement à l’action qui l’entoure, une lourde tâche qu’elle affronte avec courage et férocité.

Ils affrontent une figure antagoniste digne du brillant Lord Humungus et ses chiens de guerre, l’iconique force à vaincre dans The Road Warrior. Avec sa bruyante armée de vaillants soldats, Immortan Joe (Hugh Keays-Byrne) représente ici un des thèmes principaux du film : qui a tué le monde? Lorsque Nux tente de déresponsabiliser son espèce de la présente situation post-apocalyptique en déclarant qu’ils n’ont pas tué le monde, il se le fait ramener en pleine figure « alors qui? », posant la question qui plane sur l’intégralité du film. La réponse semble définitivement être la patriarchie toxique qui manipule les masses sur plusieurs niveaux et alimente la machine de guerre dont elle se sert à des fins personnels.

« Who killed the world? »

Immortan Joe (et par extension ses alliés des régions avoisinantes, The People Eater et The Bullet Farmer, interprétés respectivement par John Howard et Richard Carter), affublé de ses armures de guerres et de ses médailles décoratives, est l’incarnation même de cette puissance militaire qui s’alimente de l’humanité. Son convoie est même équipé d’un véhicule musical qui annonce à tue-tête son arrivée telle la musique de Wagner aux Vietnamiens d’Apocalypse Now.

En contrôlant la population avec ses richesses (de l’eau dans ce cas-ci), il fait de sa personne une figure presque déifiée qui peut se permettre de mettre en cage des femmes comme concubines forcées. Il s’arme de jeunes hommes auxquels il lave le cerveau avec de puissantes drogues stimulantes et des promesses d’un Valhalla idyllique s’ils donnent leur vie au combat. D’innombrables corps s’engagent donc volontairement dans ce qui est essentiellement une crise enfantine d’un bambin qui s’est fait dérober ses joujoux. Le scénario associe plus ou moins explicitement ce féroce machisme possessif guerrier et toute la machine qui l’entoure à l’apocalypse subite par cette Terre imaginaire.

Il est facile de se détacher de cette situation dans un monde fictif, mais lorsqu’on regarde notre propre histoire et qu’en 1914, une chicane politique entre deux pays mineurs d’Europe entraina la planète entière dans le conflit le plus sanglant et destructeur vu à ce jour et qu’en 1962, l’humanité regardait l’apocalypse dans le blanc des yeux lors de la crise des missiles, l’univers déchu de Fury Road devient inconfortablement près de notre réalité, une vision possible de la destination vers laquelle nous mène cette « Fury Road ».

Une solution possible

Avant même la sortie en salle, une conversation autour du film émergea et le terme « féministe » pointait timidement le bout de son nez. Aujourd’hui, il pourrait pratiquement faire partie des affiches promotionnelles. Furiosa et ses compagnes, avec l’aide de Max et Nux représentent l’alternative à cette masculinité toxique qui a détruit le monde et continue de le gruger jusqu’à la moelle. Le film ne défend pas l’idée d’une destruction en soi des hommes, mais plutôt des idées codifiées au genre masculin de domination, d’objectification, de manipulation et d’abus, toutes des choses que Max n’est pas sans être pour autant « féminin ».

Le fait qu’un des camps du film est principalement composé de femmes n’empêche pas qu’il y ait une pléthore d’action à couper le souffle, mettant de l’avant que la violence et l’action n’est pas intrinsèquement masculine. Elles s’intègrent à leur façon dans les scènes d’actions, n’étant pas des demoiselles en détresses qui ne font que paniquer tout en restant distinctes. Elles ne pourraient pas être remplacées par n’importe quel autre personnage masculin.

De l’action vous dites…

D’ailleurs, pléthore est un terme trop faible. Nous avons affaire à La Manne des films d’actions, une affluence infatigable de cascadeurs qui se lancent à gauche et à droite sur des véhicules en mouvements. L’approche initiale d’élaborer le projet en bande dessinée démontre une grande compréhension de la part de Miller. Ce processus lui a permis de grandement réfléchir sa mise en scène visuelle afin de s’assurer de la meilleure construction de séquences d’actions possible. Tout est clair et compréhensible dans une cinématographie magnifique et un montage cinétique qui ne perd pas haleine une seule seconde.

La majorité des films à grand déploiement abusent des effets spéciaux infographiques, ce qui enlève tout réalisme et gravité aux situations. Tandis que le mot d’ordre dans des films comme Avengers ou Furious 7 est l’omission total de la physique de base, elles amènent ici un élément crucial à Mad Max. Le choix d’aller filmer dans le désert avec des cascadeurs montés sur des véhicules en mouvements ne trahit pas les racines d’Ozploitation (terme portemanteau désignant le cinéma d’exploitation Australien) de la franchise. Avec des explosions véritables, de la vitesse sentie, des véhicules en mouvements et un désert aride comme arrière-fond, l’immédiateté de la situation est encore plus prenante, autant que le danger et la tension.

En apportant grand soin et dévotion à chaque étape de production, Miller gracie le monde d’un nouveau film culte qui injecte de l’adrénaline directement  aux globes oculaires. Non-content d’un incroyable film d’action, il y amène un propos pertinent avec grande efficience. Pour suivre son exemple : Fury Road - Jouissif, Viscéral, Brillant, Efficace. Mettez ça sur le poster.


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