Directeur : George Miller
Réalisé en 2015. Avec : Tom Hardy (Max Rockatansky), Charlize Theron (Imperator Furiosa), Nicholas Hoult (Nux), Hugh Keays-Byrne (Immortan Joe) et Rosie Huntington-Whiteley (The Splendid Angharad)
Bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=YWNWi-ZWL3c
Il y a six ans, lorsque
George Miller entame un retour à sa franchise des années 80, il s’associe à Brendan
McCarthy, un artiste de bandes dessinées, pour élaborer les grandes lignes de
son futur projet. 3000 planches illustrées plus tard, ils ont en leur
possession l’équivalent d’un « scénario » visuel, un plan détaillé de
l’ensemble du film, sans une ligne de texte écrite. Citant une inspiration dans
le cinéma muet, Miller met de l’avant les pleines capacités du cinéma en
racontant une histoire qui ne tiendrait sur aucun autre médium.
L’efficacité maîtresse
Très peu est explicité en
dialogues et beaucoup d’information passe dans l’image, même la narration d’ouverture
fonctionne plus comme introduction sans réellement dire quoi que ce soit sur
l’univers qui va progressivement se dévoiler sous nos yeux. Chaque plan de l’ouverture
dans la Citadelle est rempli à craquer d’informations, tellement qu’il est très
facile de rater ce qui rend ce monde particulièrement détaillé. Le décor
mélange la déshumanisation du travailleur de Metropolis avec la richesse humaine de la ville maya adjacente aux
divines pyramides d’Apocalypto. Cette
esthétique et attention du détail évoquent un univers entier, habité et vivant.
Avant même que la tension centrale soit
établie, la dynamique de pouvoirs et la situation est mise en place avec une
grande efficacité (le mot d’ordre à travers tout le film).
Certains vont déplorer
l’absence de scénario, mais l’histoire est présente, elle est simplement mise
en contexte par une unique scène d’action qui encadre tout le film. La
poursuite pour aller du point A au point B avec des attaquants aux talons est à
peu près aussi élaborée que la trilogie de Lord
of the Rings, mais avec moins de personnages et de revirements qui divergent
de la quête centrale. Encore une fois, cette efficacité avant tout fait que
tout information pertinente sur les personnages, l’intrigue et les thèmes est
condensé et transformée en actions plutôt qu’en dialogues.
Avec l’aide d’une
générale, les esclaves sexuelles d’un dictateur barbares s’évadent de son joug.
Puisque la situation sanitaire est catastrophique, la reproduction de
descendants viables est presque impossible. Les femmes/prisonnières du
dirigeant sont donc sa « possession » la plus valable. Digne d’Agamemnon
et Ménélas qui déploient toutes les armées de la Grèce sur Troie pour récupérer
Hélène, Immortan Joe (Hugh Keays-Byrne) libère l’étendue de ses forces et
alliances sur l’unique véhicule contenant « l’objet » convoité. S’ensuit
une explosive course effrénée à travers le désert d’une durée de 120 minutes.
Mad
Max : Fury Road entre évidemment dans le genre du
« film d’action », mais c’est avant tout un film - d’actions.
Furiosa (Charlize Theron), Nux (Nicholas Hoult), les femmes et Max (Tom Hardy)
ont très peu de lignes pour établir qui ils sont ou leurs motivations. Ainsi,
toute cette information doit se transmettre par la façon dont ils agissent lors
des multiples périls qu’ils doivent traverser. Lorsque Max laisse les femmes au
volant, offrant d’aller réparer le moteur, il verbalise simplement « I’ll
do it » et dans ce simple moment révèle beaucoup plus : sa confiance,
sa volonté à l’entraide et ses nouvelles allégeances. Dans un moment d’une
énorme puissance, The Splendid Angharad (Rosie Huntington-Witheley) se réapproprie
son corps en l’utilisant comme bouclier contre leur sauvage poursuivant. Sans
un seul mot elle communique courage et détermination. Lorsque les femmes
décident d’épargner Nux, elles démontrent une incroyable compréhension de la
situation. Ce dernier ne sait pas reconnaitre un arbre, exprimant indirectement
l’étendu de la désolation dans laquelle le monde fut plongé. L’entièreté du film
est parsemée de subtils moments de personnages qui permettent discrètement de comprendre
à qui nous avons affaire.
Un revirement de
protagoniste
De tous les personnages
principaux, il est intéressant de remarquer que Max est ici relégué au
figuratif siège passager, se révélant être un allié dans la quête de
l’Impératrice Furiosa plutôt que le contraire. En réutilisant plus ou moins la
structure des deux dernières aventures du héros, Miller cimente plus que jamais
l’éponyme personnage comme étant notre point d’entrée dans cet univers déjanté.
Il est la paire d’yeux à travers laquelle nous voyons ce monde, mais est loin
d’être le véritable intérêt. Il fait plutôt office de la mythique figure de L’homme
sans nom du western, le vagabond solitaire au code moral qui se retrouve constamment
à aider dans des situations sans enjeux personnels. Il erre éternellement les
déserts, à la recherche de son identité, forgé par les traumatismes du passé.
Tom Hardy s’approprie
dignement l’ancien rôle de Mel Gibson. Avec très peu de dialogues et beaucoup
de marmonnements, ce sont les profonds yeux évocateurs de l’homme torturé qui
font le plus gros du travail. Le changement d’acteur ne distrait pas
réellement, considérant l’essence iconique du personnage, tel James Bond ou
Batman. Charlize Theron interprète la protagoniste secrète du film, chargée de
donner vie à un personnage à l’historique minimal, évoquant plus qu’expliquant.
En quête d’une rédemption mystérieuse, elle doit amener une motivation jamais
expliquée à son personnage tout en servant de point d’ancrage aux femmes en
prenant part activement à l’action qui l’entoure, une lourde tâche qu’elle
affronte avec courage et férocité.
Ils affrontent une figure
antagoniste digne du brillant Lord Humungus et ses chiens de guerre, l’iconique
force à vaincre dans The Road Warrior.
Avec sa bruyante armée de vaillants soldats, Immortan Joe (Hugh Keays-Byrne)
représente ici un des thèmes principaux du film : qui a tué le monde? Lorsque
Nux tente de déresponsabiliser son espèce de la présente situation
post-apocalyptique en déclarant qu’ils n’ont pas tué le monde, il se le fait
ramener en pleine figure « alors qui? », posant la question qui plane
sur l’intégralité du film. La réponse semble définitivement être la patriarchie
toxique qui manipule les masses sur plusieurs niveaux et alimente la machine de
guerre dont elle se sert à des fins personnels.
« Who killed the
world? »
Immortan Joe (et par
extension ses alliés des régions avoisinantes, The People Eater et The Bullet
Farmer, interprétés respectivement par John Howard et Richard Carter), affublé
de ses armures de guerres et de ses médailles décoratives, est l’incarnation même
de cette puissance militaire qui s’alimente de l’humanité. Son convoie est même
équipé d’un véhicule musical qui annonce à tue-tête son arrivée telle la
musique de Wagner aux Vietnamiens d’Apocalypse
Now.
En contrôlant la
population avec ses richesses (de l’eau dans ce cas-ci), il fait de sa personne
une figure presque déifiée qui peut se permettre de mettre en cage des femmes
comme concubines forcées. Il s’arme de jeunes hommes auxquels il lave le
cerveau avec de puissantes drogues stimulantes et des promesses d’un Valhalla
idyllique s’ils donnent leur vie au combat. D’innombrables corps s’engagent
donc volontairement dans ce qui est essentiellement une crise enfantine d’un
bambin qui s’est fait dérober ses joujoux. Le scénario associe plus ou moins explicitement
ce féroce machisme possessif guerrier et toute la machine qui l’entoure à l’apocalypse
subite par cette Terre imaginaire.
Il est facile de se détacher
de cette situation dans un monde fictif, mais lorsqu’on regarde notre propre
histoire et qu’en 1914, une chicane politique entre deux pays mineurs d’Europe
entraina la planète entière dans le conflit le plus sanglant et destructeur vu
à ce jour et qu’en 1962, l’humanité regardait l’apocalypse dans le blanc des
yeux lors de la crise des missiles, l’univers déchu de Fury Road devient inconfortablement près de notre réalité, une
vision possible de la destination vers laquelle nous mène cette « Fury
Road ».
Une solution possible
Avant même la sortie en
salle, une conversation autour du film émergea et le terme
« féministe » pointait timidement le bout de son nez. Aujourd’hui, il
pourrait pratiquement faire partie des affiches promotionnelles. Furiosa et ses
compagnes, avec l’aide de Max et Nux représentent l’alternative à cette
masculinité toxique qui a détruit le monde et continue de le gruger jusqu’à la
moelle. Le film ne défend pas l’idée d’une destruction en soi des hommes, mais
plutôt des idées codifiées au genre masculin de domination, d’objectification,
de manipulation et d’abus, toutes des choses que Max n’est pas sans être pour
autant « féminin ».
Le fait qu’un des camps
du film est principalement composé de femmes n’empêche pas qu’il y ait une
pléthore d’action à couper le souffle, mettant de l’avant que la violence et l’action
n’est pas intrinsèquement masculine. Elles s’intègrent à leur façon dans les
scènes d’actions, n’étant pas des demoiselles en détresses qui ne font que
paniquer tout en restant distinctes. Elles ne pourraient pas être remplacées
par n’importe quel autre personnage masculin.
De l’action vous dites…
D’ailleurs, pléthore est
un terme trop faible. Nous avons affaire à La Manne des films d’actions, une
affluence infatigable de cascadeurs qui se lancent à gauche et à droite sur des
véhicules en mouvements. L’approche initiale d’élaborer le projet en bande
dessinée démontre une grande compréhension de la part de Miller. Ce processus
lui a permis de grandement réfléchir sa mise en scène visuelle afin de
s’assurer de la meilleure construction de séquences d’actions possible. Tout
est clair et compréhensible dans une cinématographie magnifique et un montage
cinétique qui ne perd pas haleine une seule seconde.
La majorité des films à
grand déploiement abusent des effets spéciaux infographiques, ce qui enlève
tout réalisme et gravité aux situations. Tandis que le mot d’ordre dans des
films comme Avengers ou Furious 7 est l’omission total de la
physique de base, elles amènent ici un élément crucial à Mad Max. Le choix d’aller filmer dans le désert avec des cascadeurs
montés sur des véhicules en mouvements ne trahit pas les racines d’Ozploitation
(terme portemanteau désignant le cinéma d’exploitation Australien) de la
franchise. Avec des explosions véritables, de la vitesse sentie, des véhicules
en mouvements et un désert aride comme arrière-fond, l’immédiateté de la
situation est encore plus prenante, autant que le danger et la tension.
En apportant grand soin
et dévotion à chaque étape de production, Miller gracie le monde d’un nouveau
film culte qui injecte de l’adrénaline directement aux globes oculaires. Non-content d’un
incroyable film d’action, il y amène un propos pertinent avec grande
efficience. Pour suivre son exemple : Fury
Road - Jouissif, Viscéral, Brillant, Efficace. Mettez ça sur le poster.
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