dimanche 10 mai 2015

Ex Machina

Directeur : Alex Garland
Réalisé en 2015. Avec : Domhnall Gleeson (Caleb), Oscar Isaac (Nathan) et Alicia Vikander (Ava)
Bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=EoQuVnKhxaM




Contrairement au très récent Chappie, Ex Machina traite de l’intelligence artificielle (I.A.) avec l’intelligence qu’elle mérite (c’est écrit dans le nom!). Tandis que Blomkamp avait plusieurs demi-idées sans trop savoir laquelle choisir, Alex Garland explore avec minutie la relation particulière de l’homme créateur et sa « descendance ». Avec une technique travaillée et un scénario qui l’est tout autant, le réalisateur construit un film à mi-chemin entre une fable philosophique et un thriller de science-fiction claustrophobe.

Suite à une loterie au travail, Caleb remporte un mystérieux prix impliquant une semaine dans un laboratoire très isolé en compagnie de son patron. Nathan, son hôte, est un milliardaire et génie créateur d’un moteur de recherche qui est Google sans en porter le nom. Il apprend rapidement qu’il sera la composante humaine dans un « test Turing », test où l’individu doit entretenir une conversation avec une machine afin de déceler si son intelligence est suffisante pour camoufler - ou même faire oublier - son côté artificiel.

Ouvrant avec un modèle pratiquement accompli et au stade du perfectionnement, le scénario contourne l’inévitable « création » : l’aspect le plus vu et revu du sujet. Il peut ainsi passer plus de temps à approfondir les idées explorées en allant de l’avant. L’I.A. se révèle être, dans ce cas-ci, dotée du genre féminin et prénommée Ava. Ce choix est crucial puisqu’il place le robot dans une dynamique sexuée avec les deux seuls hommes qu’elle connait. L’objectification patriarcale est intrinsèquement liée avec l’idée d’un homme qui construit littéralement une femme « objet » (puisque machine). Ava existe ici, de prime abord, dans un environnement de servitude, de regard masculin et d’observation déshumanisante et ce malaise prend de l’ampleur proportionnellement au développement de sa conscience de soi.


En utilisant plusieurs caractéristiques du cinéma d’horreur (lieu isolé en forêt sans signaux cellulaires), ainsi qu’une réalisation intelligente et une trame sonore appropriée, Garland crée un environnement nerveux autour de ce qui est essentiellement une série d’entretiens. Il développe cette atmosphère en dissimulant la majorité des motivations et intentions du maître des lieux, qui garde son habitation comme un labyrinthe aux multiples secrets et caméras de surveillances, exempt de fenêtres ou de sorties. Le spectateur est donc coincé dans la perspective du « visiteur », avec quelques bribes d’informations privilégiées. Dans ce rôle, il devient rapidement intriguant d’essayer de cerner la personnalité de l’excentrique génie qui tord les citations pour s’auto-qualifier de divinité.

Le jeu du trio principal rajoute une autre dimension au film, particulièrement Oscar Isaac et Alicia Vikander. Domhnall Gleeson a l’ingrate tâche d’être le substitut du public, l’étranger invité dans un lieu inconnu via lequel nous apprenons tout ce qu’il y a à savoir et, par conséquent, est légèrement plus fonctionnel qu’organique. De plus, il interprète un américain à l’accent correct, mais légèrement distrayant.

Opposant Caleb, le créateur et sa créature jouent chacun leur propre jeu et offrent beaucoup de subtilité et de mystère à leurs personnages. Isaac, continuant son ascension au panthéon des grands acteurs de sa génération, a une façade accueillante et amicale qui ne trompe personne sans être grossière ou surjouée. C’est un homme qui est habitué d’être le plus intelligent dans la pièce et ne semble pas particulièrement familier avec les interactions humaines ordinaires. À travers de subtils tics et maniérismes, Vikander réussit de son côté le difficile rôle de l’I.A. qui doit être autant machine sans être automatisé qu’humain sans être naturel.

Ex Machina offre ainsi le meilleur de la science-fiction, un fond intelligent dans une forme intelligente qui capte et garde l’attention du spectateur pour lui donner plus ou moins ouvertement une leçon de philosophie couplée d’une discrète morale féministe sur l’objectification et la patriarchie, tel un plus accessible Under the Skin

MUK

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