Puisque le processus d'adaptation de la bande-dessinée m'intéresse énormément, j'ai écrit quelques (trop) de mots sur Paul à Québec et les faux pas d'adaptations pour aussi parler de certains de mes films favoris qui font honneur au matériel d'origine tout en créant un produit fini qui se tient de lui même.
Cette semaine prenait l’affiche sur nos écrans Paul à Québec, (voir ma critique complète sur Cinéfilic) une des rares adaptations graphiques de notre petit
coin de pays. La série Paul de Michel
Rabagliati est l’une des plus connues et aimées de la province, il est donc
logique d’en produire une version cinématographique, surtout considérant
qu’elle ne met rien en scène de bien extravagant.
Contrairement à ses collègues super-héros à plus
grande notoriété, Paul n’implique pas d’homme qui vole, de destruction de masse
ou de voyage intergalactique, mais se concentre simplement sur des drames
humains dans une version romanisée de faits vécus par son auteur. Malgré cela,
le processus d’adaptation fut si maladroit qu’il crée une expérience encore
plus étrangère que Guardians of the
Galaxy.
L’ouverture, qui débute sur les pages, est une
citation classique souvent utilisée pour faire hommage aux sources et les
marqueurs de temps à l’orthographe de l’auteur s’intègrent bien dans
l’environnement. C’est lorsque la mise en scène essaie d’aller trop loin dans
extractions directes qu’elle brise la réalité du film.
Il va sans dire qu’empiriquement, l’univers de la
bande-dessinée n’est pas celui du cinéma. L’attrait du long-métrage en prise de
vue réelle est une proximité à notre réalité qui ne peut être retrouvée ailleurs,
fonctionnant comme un aperçu dans notre propre monde par le regard d’un autre.
La bande-dessinée passe nécessairement à travers un filtre de représentation
puisqu’elle implique du dessin et un élément graphique qui va plus ou moins
être réaliste, selon les intentions de l’auteur. Il est donc logique que
certains détails fonctionnent dans un contexte et non dans l’autre et il en va
de même pour les sujets et les tons qui divergent largement selon le médium
dans lequel ils sont approchés.
Par exemple, lorsque Paul et sa famille croisent sur
l’autoroute la belle-famille qui klaxonne et agite frénétiquement les bras par
la fenêtre, la réalisateur cite directement les cases où des personnages
dessinés saluent d’une façon qu’aucun être humain ne saluerait, même les plus
exubérants. Mais sur les pages, personne ne bouge réellement, ainsi
l’exagération du mouvement se fait pour y mettre de l’emphase et donner un ton
plus excité à une scène qui serait largement différente si les gens bougeaient
de façon réaliste (faire des simples coucous derrière la fenêtre par exemple).
Cette transition maladroite se retrouve aussi dans les
dialogues qui sont parfois tirés directement du texte original et sont un
exemple parfait d’un aspect qui ne passe pas toujours d’un médium à l’autre. La
différence est plus concrète ici puisqu’elle se résume à oral vs. écrit. Les
textes de Michel Rabagliati (qui signe aussi le scénario du long-métrage) sont
généralement d’un niveau de langage qui, sans être exemplaire, n’est pas pure
joual à chaque tournure de phrase comme les gens parlent réellement. C’est une
décision qui permet de rendre plus fluide la lecture, mais poli quelque peu le
parler de ses personnages, sauf lorsqu’il veut y apporter une certain
attention. Au cinéma, les dialogues textuellement extraits de la bande-dessinée
passent moins bien puisqu’ils ne sonnent pas naturels et le cerveau capte
beaucoup plus ce genre de détail que lorsqu'il « adapte (lit) les textes dans
notre tête ».
Tout cela ne serait pas un problème s’ils vivaient dans
un univers de bande-dessinée du début à la fin. Malheureusement, les rencontres
de familles sont si peu naturelles et évidemment tirées de la bande-dessinée
qu’ils font contrastes aux histoires ultra-réalistes des problèmes de santé de
Roland (le grand-père cancéreux interprété par Gilbert Sicott), qui se veulent
dramatique par leur regard non-tempéré d’un homme à la fin de sa vie. Le drame fait
un contraste si frappant avec les problèmes caricaturaux d’ordinateur et de
nouvelle maison de Paul qu’il fracture l’expérience entre deux films qui
n’arrivent à s’ajuster que trop tard, lorsque les histoires convergent vers un
même point.
L’adaptation de concepts plus extraordinaires est une
question constante lorsque les équipes de productions s’attaquent à du matériel
de bande-dessinée. Les deux approches les plus extrêmes se retrouvent sous la
forme des adaptations de Batman. Tandis que Burton, dans les années 80, décida
de construire son propre univers dans une réalité modelée à sa façon,
permettant à des personnages comme le Joker ou le Penguin d’exister dans
« notre » monde sans créer de différent, Christopher Nolan pris la
direction inverse.
Christian Bale interprétait un chevalier de la nuit
qui était fait pour fonctionner dans notre réalité, avec des drames qui
impliquait le crime organisé et de fréquentes discussions sur la pauvreté et
les problèmes sociaux qui ruinaient Gotham, avec une explication réaliste et
ancrée à chaque élément introduit. Ce n’est pas une coïncidence que The Dark Knight Rises, celui à la
présence bédéesque plus senti, est aussi le moins bien réussit. Sans être les
uniques problèmes du film, le scénario ultra-réaliste doit tordre notre
crédulité jusqu’à rupture pour faire passer certains retournements d’intrigues
plus grotesques.
Poussant les choses à un niveau plus loin, Zack Snyder
et Robert Rodriguez, avec 300 et Sin City respectivement, ont fait un
travail de translation plus que d’adaptation, recréant le plus fidèlement
possible l’expérience d’univers très spécifiques où chaque décision stylistique
était faite pour construire un environnement, avec une logique interne qui se
tient. Cette logique est la clé de l’équation que Paul à Québec n’arrive pas à résoudre.
Deux des adaptations les plus réussites construisent
un univers qui s’empare des codes de divers médiums pour se les réapproprier. Scott Pilgrim vs. The World et Astérix & Obélix : Mission
Cléopâtre habitent des univers de bande-dessinée mur-à-mur où aucune
logique du vrai monde n’existe. Le monde de Scott
Pilgrim défi toute loi de la physique et les gens apprennent le karaté
spontanément ou explosent en pièces de monnaies et le tout se tient d’une telle
façon que nous acceptons facilement chaque transition. Dans « l’égypte
antique » d’Astérix, les anachronismes font la loi et les personnages ont
les constitutions osseuses de personnages de Tex Avery et pourtant ces détails
ne retirent jamais de l’expérience. Cette consistance permet de garder son
public complice de l’univers tout au long du film.
Il est parfois nécessaire de faire des sacrifices pour
créer un tout cohérent. Les hommages à la bande-dessinée de Paul à Québec peuvent paraitre comme des
petits détails insignifiants, mais c’est à travers ce genre de petites
décisions que l’auteur d’une œuvre (autant cinématographique que BD) communique
avec son public et lorsqu’il se contredit, le public remet rapidement tout en
question.
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