jeudi 24 septembre 2015

Paul à Québec et l'adaptation de la bande-dessinée

Puisque le processus d'adaptation de la bande-dessinée m'intéresse énormément, j'ai écrit quelques (trop) de mots sur Paul à Québec et les faux pas d'adaptations pour aussi parler de certains de mes films favoris qui font honneur au matériel d'origine tout en créant un produit fini qui se tient de lui même.


Cette semaine prenait l’affiche sur nos écrans Paul à Québec, (voir ma critique complète sur Cinéfilic) une des rares adaptations graphiques de notre petit coin de pays. La série Paul de Michel Rabagliati est l’une des plus connues et aimées de la province, il est donc logique d’en produire une version cinématographique, surtout considérant qu’elle ne met rien en scène de bien extravagant.

Contrairement à ses collègues super-héros à plus grande notoriété, Paul n’implique pas d’homme qui vole, de destruction de masse ou de voyage intergalactique, mais se concentre simplement sur des drames humains dans une version romanisée de faits vécus par son auteur. Malgré cela, le processus d’adaptation fut si maladroit qu’il crée une expérience encore plus étrangère que Guardians of the Galaxy.

L’ouverture, qui débute sur les pages, est une citation classique souvent utilisée pour faire hommage aux sources et les marqueurs de temps à l’orthographe de l’auteur s’intègrent bien dans l’environnement. C’est lorsque la mise en scène essaie d’aller trop loin dans extractions directes qu’elle brise la réalité du film.

Il va sans dire qu’empiriquement, l’univers de la bande-dessinée n’est pas celui du cinéma. L’attrait du long-métrage en prise de vue réelle est une proximité à notre réalité qui ne peut être retrouvée ailleurs, fonctionnant comme un aperçu dans notre propre monde par le regard d’un autre. La bande-dessinée passe nécessairement à travers un filtre de représentation puisqu’elle implique du dessin et un élément graphique qui va plus ou moins être réaliste, selon les intentions de l’auteur. Il est donc logique que certains détails fonctionnent dans un contexte et non dans l’autre et il en va de même pour les sujets et les tons qui divergent largement selon le médium dans lequel ils sont approchés.

Par exemple, lorsque Paul et sa famille croisent sur l’autoroute la belle-famille qui klaxonne et agite frénétiquement les bras par la fenêtre, la réalisateur cite directement les cases où des personnages dessinés saluent d’une façon qu’aucun être humain ne saluerait, même les plus exubérants. Mais sur les pages, personne ne bouge réellement, ainsi l’exagération du mouvement se fait pour y mettre de l’emphase et donner un ton plus excité à une scène qui serait largement différente si les gens bougeaient de façon réaliste (faire des simples coucous derrière la fenêtre par exemple).

Cette transition maladroite se retrouve aussi dans les dialogues qui sont parfois tirés directement du texte original et sont un exemple parfait d’un aspect qui ne passe pas toujours d’un médium à l’autre. La différence est plus concrète ici puisqu’elle se résume à oral vs. écrit. Les textes de Michel Rabagliati (qui signe aussi le scénario du long-métrage) sont généralement d’un niveau de langage qui, sans être exemplaire, n’est pas pure joual à chaque tournure de phrase comme les gens parlent réellement. C’est une décision qui permet de rendre plus fluide la lecture, mais poli quelque peu le parler de ses personnages, sauf lorsqu’il veut y apporter une certain attention. Au cinéma, les dialogues textuellement extraits de la bande-dessinée passent moins bien puisqu’ils ne sonnent pas naturels et le cerveau capte beaucoup plus ce genre de détail que lorsqu'il « adapte (lit) les textes dans notre tête ».

Tout cela ne serait pas un problème s’ils vivaient dans un univers de bande-dessinée du début à la fin. Malheureusement, les rencontres de familles sont si peu naturelles et évidemment tirées de la bande-dessinée qu’ils font contrastes aux histoires ultra-réalistes des problèmes de santé de Roland (le grand-père cancéreux interprété par Gilbert Sicott), qui se veulent dramatique par leur regard non-tempéré d’un homme à la fin de sa vie. Le drame fait un contraste si frappant avec les problèmes caricaturaux d’ordinateur et de nouvelle maison de Paul qu’il fracture l’expérience entre deux films qui n’arrivent à s’ajuster que trop tard, lorsque les histoires convergent vers un même point.

L’adaptation de concepts plus extraordinaires est une question constante lorsque les équipes de productions s’attaquent à du matériel de bande-dessinée. Les deux approches les plus extrêmes se retrouvent sous la forme des adaptations de Batman. Tandis que Burton, dans les années 80, décida de construire son propre univers dans une réalité modelée à sa façon, permettant à des personnages comme le Joker ou le Penguin d’exister dans « notre » monde sans créer de différent, Christopher Nolan pris la direction inverse.

Christian Bale interprétait un chevalier de la nuit qui était fait pour fonctionner dans notre réalité, avec des drames qui impliquait le crime organisé et de fréquentes discussions sur la pauvreté et les problèmes sociaux qui ruinaient Gotham, avec une explication réaliste et ancrée à chaque élément introduit. Ce n’est pas une coïncidence que The Dark Knight Rises, celui à la présence bédéesque plus senti, est aussi le moins bien réussit. Sans être les uniques problèmes du film, le scénario ultra-réaliste doit tordre notre crédulité jusqu’à rupture pour faire passer certains retournements d’intrigues plus grotesques.

Poussant les choses à un niveau plus loin, Zack Snyder et Robert Rodriguez, avec 300 et Sin City respectivement, ont fait un travail de translation plus que d’adaptation, recréant le plus fidèlement possible l’expérience d’univers très spécifiques où chaque décision stylistique était faite pour construire un environnement, avec une logique interne qui se tient. Cette logique est la clé de l’équation que Paul à Québec n’arrive pas à résoudre.

Deux des adaptations les plus réussites construisent un univers qui s’empare des codes de divers médiums pour se les réapproprier. Scott Pilgrim vs. The World et Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre habitent des univers de bande-dessinée mur-à-mur où aucune logique du vrai monde n’existe. Le monde de Scott Pilgrim défi toute loi de la physique et les gens apprennent le karaté spontanément ou explosent en pièces de monnaies et le tout se tient d’une telle façon que nous acceptons facilement chaque transition. Dans « l’égypte antique » d’Astérix, les anachronismes font la loi et les personnages ont les constitutions osseuses de personnages de Tex Avery et pourtant ces détails ne retirent jamais de l’expérience. Cette consistance permet de garder son public complice de l’univers tout au long du film.

Il est parfois nécessaire de faire des sacrifices pour créer un tout cohérent. Les hommages à la bande-dessinée de Paul à Québec peuvent paraitre comme des petits détails insignifiants, mais c’est à travers ce genre de petites décisions que l’auteur d’une œuvre (autant cinématographique que BD) communique avec son public et lorsqu’il se contredit, le public remet rapidement tout en question.

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