Directeur : Mathieu Denis
Réalisé en 2014. Avec : Anthony Therrien (Jean Corbo), Antoine L'Écuyer (François), Karelle Tremblay (Julie), Tony Nardi (Nicola Corbo) et Jean-François Pronovost (Claude Corbo).
Bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=FoD01VfWg5c
Après La passion d’Augustine et Corbo, il est criant que le cinéma
québécois puisse être autant d’actualité en racontant des histoires aux
caractères identitaires qui datent d’une 50aines d’années. Il semble que la
culture québécoise francophone ait un grand attachement aux années 60 et la
Révolution Tranquille, regardant cette époque de changements et d’affirmations
avec une nostalgie qui rappelle une époque où la culture s’affirmait au lieu de
vivre passivement dans la crainte des réformes gouvernementales. Corbo observe la lutte sociale d’un
groupe persécuté avec un peu trop de pertinence actuelle pour le confort qu’offre
généralement le retrait historique de la reconstitution cinématographique. Sans
glorifier ou démoniser les actions felquistes, il les observe de la perspective
spécifique de Jean Corbo, un adolescent de 16 ans qui traverse une crise
identitaire personnelle et qui s’identifie très fortement à la colère du
mouvement extrémiste.
La réussite cruciale de Corbo fut de trouver l’humanité du protagoniste
derrière ses étiquettes historiques (poseur de bombes, marginal, militant,
etc.) et de comprendre ce qui se cachait derrière ce que les livres d’Histoire
nous enseignent. La dynamique familiale de la maisonnée Corbo crée le cœur émotionnel
du film, avec des relations clairement établies et des moments de profondeur
subtils. Jean voit son père, un immigrant qui a toutes les raisons de détester
un pays qui l’a emprisonné pour des raisons absurdes durant la Deuxième Guerre
mondiale et qui pourtant s’implique dans les campagnes du PLQ, et se frustre.
Il voit son frère (futur recteur de l’UQAM) se faire raccrocher au nez à
répétition lorsqu'il appelle poliment les gens pour leurs parler du RIN (Rassemblement
pour l’Indépendance Nationale), qui veut faire changer les choses de façon
conventionnelle et ne réussit pas à faire élire un seul député, et il bouille
devant l’impotence des méthodes « acceptables ».
Dans sa colère d’adolescent,
et par l’entremise d’une jeune fille, il se joint à un mouvement qui est
déterminé à faire changer les choses, le Mouvement de Libération Populaire, une
cellule qui se revendique du FLQ et qui déploie de plus en plus d’efforts pour
faire bouger la population (principalement avec des explosifs à des endroits
stratégiques). Les minuteries et cadrans associés aux explosifs marquent le
film, comme un leitmotiv qui rappelle sans arrêt le processus enclenché qui n’arrêtera
plus et qui mènera à l’inévitable destin
du jeune garçon. Ce sentiment de sort qui en est jeté est ressenti dans ses
interactions avec les divers membres de sa famille, qui perdent de plus en plus
leur connexion avec cet être cher. Même les moments de tendresse avec son père
laissent un arrière-goût de date de péremption imminente qui soulève à quel
point les choses ne pouvaient revenir en arrière. Le fatalisme du film rappelle
que cette lutte qui prit place il y a plusieurs décennies est une problématique
sociale qui est encore soulevée aujourd’hui, avec les printemps 2015 et 2012,
dans le plus récent épisode d’une insatisfaction historique qui remonte aux
patriotes il y a un peu moins de deux siècles.
Le nouvel acteur, Anthony
Therrien, au visage de marbre encoché d’une cicatrice qui évoque une blessure
de militant blessé au combat, réussit à trouver cet équilibre entre son milieu
d’origine plus réservé et individuel et son ambition alimentée par la colère
résultant de ce même milieu. Il a plus de difficulté par contre à faire
fonctionner les (déjà problématiques, puisqu’ennuyeux) moments plus détendus
avec ses compagnons (et amis), incluant la relation bourgeonnante avec son amie
qui l’initie au mouvement. La portion du film qui, voulant peindre un portrait
plus complet du personnage, s’attarde aux moments avec les camarades de son âge
font plus classique et déjà vu, empêchant au film de vraiment vendre le fait
que nous parlons ici d’une jeune de 16 ans. Il joue suffisamment mature pour
sembler être plus prêt de sa vingtaine et retire au personnage cette
caractéristique qui aurait ajouté à la tragédie de son histoire.
En conclusion, Corbo évoque et initie la discussion
politique autour d’une question qui est encore trop d’actualité dans notre
société. Il offre à la période mouvementée du FLQ une autre figure emblématique
oubliée, à l’ombre des événements plus connus d’octobre 70 (une histoire avec
en son centre un individu qui n’a rien à voir avec le mouvement en soi). Malgré
certains raccourcis de personnages un peu plus brouillons, il offre un contexte
familial intéressant et significatif à un individu dont les motivations méritent
une véritable discussion aujourd’hui.
MUK
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