vendredi 24 avril 2015

Corbo

Directeur : Mathieu Denis
Réalisé en 2014. Avec : Anthony Therrien (Jean Corbo), Antoine L'Écuyer (François), Karelle Tremblay (Julie), Tony Nardi (Nicola Corbo) et Jean-François Pronovost (Claude Corbo).



Après La passion d’Augustine et Corbo, il est criant que le cinéma québécois puisse être autant d’actualité en racontant des histoires aux caractères identitaires qui datent d’une 50aines d’années. Il semble que la culture québécoise francophone ait un grand attachement aux années 60 et la Révolution Tranquille, regardant cette époque de changements et d’affirmations avec une nostalgie qui rappelle une époque où la culture s’affirmait au lieu de vivre passivement dans la crainte des réformes gouvernementales. Corbo observe la lutte sociale d’un groupe persécuté avec un peu trop de pertinence actuelle pour le confort qu’offre généralement le retrait historique de la reconstitution cinématographique. Sans glorifier ou démoniser les actions felquistes, il les observe de la perspective spécifique de Jean Corbo, un adolescent de 16 ans qui traverse une crise identitaire personnelle et qui s’identifie très fortement à la colère du mouvement extrémiste.

La réussite cruciale de Corbo fut de trouver l’humanité du protagoniste derrière ses étiquettes historiques (poseur de bombes, marginal, militant, etc.) et de comprendre ce qui se cachait derrière ce que les livres d’Histoire nous enseignent. La dynamique familiale de la maisonnée Corbo crée le cœur émotionnel du film, avec des relations clairement établies et des moments de profondeur subtils. Jean voit son père, un immigrant qui a toutes les raisons de détester un pays qui l’a emprisonné pour des raisons absurdes durant la Deuxième Guerre mondiale et qui pourtant s’implique dans les campagnes du PLQ, et se frustre. Il voit son frère (futur recteur de l’UQAM) se faire raccrocher au nez à répétition lorsqu'il appelle poliment les gens pour leurs parler du RIN (Rassemblement pour l’Indépendance Nationale), qui veut faire changer les choses de façon conventionnelle et ne réussit pas à faire élire un seul député, et il bouille devant l’impotence des méthodes « acceptables ».


Dans sa colère d’adolescent, et par l’entremise d’une jeune fille, il se joint à un mouvement qui est déterminé à faire changer les choses, le Mouvement de Libération Populaire, une cellule qui se revendique du FLQ et qui déploie de plus en plus d’efforts pour faire bouger la population (principalement avec des explosifs à des endroits stratégiques). Les minuteries et cadrans associés aux explosifs marquent le film, comme un leitmotiv qui rappelle sans arrêt le processus enclenché qui n’arrêtera plus et qui mènera  à l’inévitable destin du jeune garçon. Ce sentiment de sort qui en est jeté est ressenti dans ses interactions avec les divers membres de sa famille, qui perdent de plus en plus leur connexion avec cet être cher. Même les moments de tendresse avec son père laissent un arrière-goût de date de péremption imminente qui soulève à quel point les choses ne pouvaient revenir en arrière. Le fatalisme du film rappelle que cette lutte qui prit place il y a plusieurs décennies est une problématique sociale qui est encore soulevée aujourd’hui, avec les printemps 2015 et 2012, dans le plus récent épisode d’une insatisfaction historique qui remonte aux patriotes il y a un peu moins de deux siècles.

Le nouvel acteur, Anthony Therrien, au visage de marbre encoché d’une cicatrice qui évoque une blessure de militant blessé au combat, réussit à trouver cet équilibre entre son milieu d’origine plus réservé et individuel et son ambition alimentée par la colère résultant de ce même milieu. Il a plus de difficulté par contre à faire fonctionner les (déjà problématiques, puisqu’ennuyeux) moments plus détendus avec ses compagnons (et amis), incluant la relation bourgeonnante avec son amie qui l’initie au mouvement. La portion du film qui, voulant peindre un portrait plus complet du personnage, s’attarde aux moments avec les camarades de son âge font plus classique et déjà vu, empêchant au film de vraiment vendre le fait que nous parlons ici d’une jeune de 16 ans. Il joue suffisamment mature pour sembler être plus prêt de sa vingtaine et retire au personnage cette caractéristique qui aurait ajouté à la tragédie de son histoire.

En conclusion, Corbo évoque et initie la discussion politique autour d’une question qui est encore trop d’actualité dans notre société. Il offre à la période mouvementée du FLQ une autre figure emblématique oubliée, à l’ombre des événements plus connus d’octobre 70 (une histoire avec en son centre un individu qui n’a rien à voir avec le mouvement en soi). Malgré certains raccourcis de personnages un peu plus brouillons, il offre un contexte familial intéressant et significatif à un individu dont les motivations méritent une véritable discussion aujourd’hui.

MUK

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