mercredi 12 novembre 2014

Nightcrawler

Directeur : Dan Gilroy
Réalisé en 2014. Avec : Jake Gyllenhaal (Lou Bloom, toujours plaisant à dire), Rene Russo (Nina Romina et Riz Ahmed (Rick).


Lorsqu’on critique les médias, il est toujours important de se rappeler que même si ce qu’ils font est effectivement déplorable et malsain, ce n’est pas une industrie d’hyper-sensationnalisme qui est apparue du vide de l’espace, mais plutôt le résultat de la volonté instinctive humaine de voir des horreurs se dérouler afin de se sentir mieux lorsqu’on pense au fait qu’elles ne sont pas en train de nous arriver. Nightcrawler nous met le nez dans notre propre désir morbide de voir des atrocités en plaçant au centre de l’histoire un personnage qui est tellement détaché de la situation qu’il n’a aucune difficulté à filmer les accidents de gens morts ou mourants, qu’ils soient amis, ennemis ou étrangers. La distance humaine que lui procurent ses troubles antisociaux sert de substitut métaphorique pour la distance que nous procure les images médiatisées, offrant une critique poignante de toute l’industrie des médias vautours.


Le rôle du protagoniste (Lou Bloom, un homme d’affaire indépendant qui filme des images d’accidents et crimes urbains pour ensuite les revendre aux stations de nouvelles) est fascinant puisqu’il sert autant de point de vue de l’audience que de commentaire social, faisant de Nightcrawler un film avec autant d’excitation que de pertinence sociale. C’est un homme qui n’a pas froid aux yeux (littéralement, il ne cligne jamais des yeux) et qui se lance vers les lieux d’accidents sans aucun regard pour la sécurité publique ou le bien-être des gens qui l’entourent. Cette attitude offre des séquences excitantes et un sentiment de propulsion à la structure d’ensemble de l’histoire, qui débute avec une découverte anodine du métier de « Nightcrawler » pour aller jusqu’on ne sait où! Un peu comme Cheap Tricks, l’intrigue du film tourne autour de la limite du personnage, y-a-t’ il un point où il va arrêter? La réponse est très probablement non, dû à la nature de Lou, mais c’est fascinant de voir chaque barrière éthique fracassée sans trop de problème, que ce soit par le « héros » ou sa partenaire en affaire, la directrice d’une émission de nouvelles Nina Romina.

Nightcrawler frappe un autre coup de génie en associant le casse-cou immoral à Nina, la personne en charge d’un poste de nouvelle et dont l’emploi dépend des côtes d’écoute à certaines heures. Les images choquantes que lui fournit Lou chaque soir deviennent de plus en plus prisées à sa station et commencent à développer une relation de co-dépendance dont l’équilibre est rapidement remis en question. Au premier coup d’oeil, elle serait la version plus saine d’esprit et « justifiable » de l’équation, mais il devient très vite clair que faire affaire avec un individu tel que Lou pour son propre avantage est aussi moralement répréhensible que d’aller au front soi-même. Les gens comment Lou qui peuvent proliférer dans notre société existent à cause de gens comme elle qui ont besoin de chiffres et de côtes pour justifier leur salaire, qui eux viennent de gens comme nous! Le public qui veut toujours plus de sang et de scandale! Nous amenant à cette scène où Lou, en colère, se regarde dans le miroir et hurle, agrippe violemment son reflet et le fracture, consolidant la critique sociale du film.

Jake Gyllenhaal est hors pair dans ce film, habitant la déconnexion sociale et la logique froide et inhumaine avec une telle aise qu’il fait froid dans le dos. Ses yeux exorbités et glacés ne clignent jamais et fixent et analysent son environnement d’une telle façon qu’il ne semble jamais au repos, toujours à l’affut, toujours en train de réfléchir à la prochaine étape de son plan. Lou Bloom est un excellent personnage joué par un excellent acteur avec un nom excellent. Il est maigrelet et squelettique au point d’être méconnaissable, lui donnant l’aspect d’un méchant de film d’horreur qui dans un autre scénario lancerait ses semences à Jodie Foster à travers les barreaux de sa cellule.


En conclusion, en associant à l’hyper-sensationnalisme des personnes aussi déplorables, Nightcrawler élabore une critique pointu sur le phénomène tout en incluant intelligemment toutes les parts du problème (nous sommes tous à quelque part, des rapaces!) Avec une performance troublante à souhait et un scénario très serré qui fait constamment avancer la descente vers la dépravation morale du « héros », ce film laissera sa marque dans la mémoire de ses spectateurs comme certains films peuvent simplement rêver de faire.  

MUK

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