Directeur : Dan Gilroy
Réalisé en 2014. Avec : Jake Gyllenhaal (Lou Bloom, toujours plaisant à dire), Rene Russo (Nina Romina et Riz Ahmed (Rick).
Bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=1lEdwqwOttg
Lorsqu’on critique les médias, il
est toujours important de se rappeler que même si ce qu’ils font est effectivement
déplorable et malsain, ce n’est pas une industrie d’hyper-sensationnalisme qui
est apparue du vide de l’espace, mais plutôt le résultat de la volonté
instinctive humaine de voir des horreurs se dérouler afin de se sentir mieux lorsqu’on
pense au fait qu’elles ne sont pas en train de nous arriver. Nightcrawler nous met le nez dans notre
propre désir morbide de voir des atrocités en plaçant au centre de l’histoire
un personnage qui est tellement détaché de la situation qu’il n’a aucune
difficulté à filmer les accidents de gens morts ou mourants, qu’ils soient
amis, ennemis ou étrangers. La distance humaine que lui procurent ses troubles
antisociaux sert de substitut métaphorique pour la distance que nous procure les images médiatisées, offrant une critique poignante de toute l’industrie
des médias vautours.
Le rôle du protagoniste (Lou
Bloom, un homme d’affaire indépendant qui filme des images d’accidents et
crimes urbains pour ensuite les revendre aux stations de nouvelles) est
fascinant puisqu’il sert autant de point de vue de l’audience que de
commentaire social, faisant de Nightcrawler
un film avec autant d’excitation que de pertinence sociale. C’est un homme qui
n’a pas froid aux yeux (littéralement, il ne cligne jamais des yeux) et qui se
lance vers les lieux d’accidents sans aucun regard pour la sécurité publique ou
le bien-être des gens qui l’entourent. Cette attitude offre des séquences
excitantes et un sentiment de propulsion à la structure d’ensemble de l’histoire,
qui débute avec une découverte anodine du métier de « Nightcrawler »
pour aller jusqu’on ne sait où! Un peu comme Cheap Tricks, l’intrigue du film tourne autour de la limite du
personnage, y-a-t’ il un point où il va arrêter? La réponse est très
probablement non, dû à la nature de Lou, mais c’est fascinant de voir chaque
barrière éthique fracassée sans trop de problème, que ce soit par le « héros »
ou sa partenaire en affaire, la directrice d’une émission de nouvelles Nina
Romina.
Nightcrawler frappe un autre coup de génie en associant le
casse-cou immoral à Nina, la personne en charge d’un poste de nouvelle et dont
l’emploi dépend des côtes d’écoute à certaines heures. Les images choquantes
que lui fournit Lou chaque soir deviennent de plus en plus prisées à sa station
et commencent à développer une relation de co-dépendance dont l’équilibre est
rapidement remis en question. Au premier coup d’oeil, elle serait la version
plus saine d’esprit et « justifiable » de l’équation, mais il devient
très vite clair que faire affaire avec un individu tel que Lou pour son propre
avantage est aussi moralement répréhensible que d’aller au front soi-même. Les
gens comment Lou qui peuvent proliférer dans notre société existent à cause de
gens comme elle qui ont besoin de chiffres et de côtes pour justifier leur
salaire, qui eux viennent de gens comme nous! Le public qui veut toujours plus
de sang et de scandale! Nous amenant à cette scène où Lou, en colère, se
regarde dans le miroir et hurle, agrippe violemment son reflet et le fracture,
consolidant la critique sociale du film.
Jake Gyllenhaal est hors pair dans
ce film, habitant la déconnexion sociale et la logique froide et inhumaine avec
une telle aise qu’il fait froid dans le dos. Ses yeux exorbités et glacés ne
clignent jamais et fixent et analysent son environnement d’une telle façon qu’il
ne semble jamais au repos, toujours à l’affut, toujours en train de réfléchir à
la prochaine étape de son plan. Lou Bloom est un excellent personnage joué par
un excellent acteur avec un nom excellent. Il est maigrelet et squelettique au
point d’être méconnaissable, lui donnant l’aspect d’un méchant de film d’horreur
qui dans un autre scénario lancerait ses semences à Jodie Foster à travers les
barreaux de sa cellule.
En conclusion, en associant à l’hyper-sensationnalisme
des personnes aussi déplorables, Nightcrawler
élabore une critique pointu sur le phénomène tout en incluant intelligemment
toutes les parts du problème (nous sommes tous à quelque part, des rapaces!) Avec
une performance troublante à souhait et un scénario très serré qui fait
constamment avancer la descente vers la dépravation morale du « héros »,
ce film laissera sa marque dans la mémoire de ses spectateurs comme certains
films peuvent simplement rêver de faire.
MUK
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