lundi 16 mars 2015

The Babadook

Directrice : Jennifer Kent
Réalisé en 2014. Avec : Essie Davis (Amelia) et Noah Wiseman (Sam)


“Bruce” n’apparait qu’un total de 4 minutes dans Jaws et ce n’est qu’après 1h16 que l’on peut voir la créature dans son ensemble. Il faut attendre à la moitié de Godzilla avant d’avoir une image complète du Dieux-lézard qui n’est pas présent à l’écran pour plus de 8 minutes dans le classique de 1954. Anthony Hopkins s’est vu remettre un oscar pour une performance d’une quinzaine de minutes en tant qu’Hannibal Lecter. L’ensemble des dinosaures de Jurassic Park se partagent moins de 15 minutes de temps de caméra. Xenomorph : 3min36. Darth Vader : 12 minutes. Le Joker de Heath Ledger : 33 minutes! 20% d’un film défini par cette performance. Je crois que vous voyez où je veux en venir. Lorsqu’un film construit suffisamment bien son ambiance et tout ce qui entoure la menace, ils n’ont pas besoin de l’afficher sans arrêt, l’atmosphère combinée à l’imagination du spectateur fait le reste du travail. The Babadook est un exemple d’une utilisation parfaite d’une imagerie frappante couplée à un horreur psychologique oh combien associable pour créer une leçon sur la façon de construire un film d’horreur efficace.


Dès l’ouverture, la situation nous est présentée de façon si claire et concise que la tension initiale est tout de suite mise en place. Amelia est une mère monoparentale veuve qui doit élever un enfant de 6 ans aux nombreux troubles. Il est hyperactif, nécessiteux, a des comportements violents et une imagination très stimulante. Il construit des armes pour défendre sa mère des monstres, détruisant plus de carreaux et s’attirant plus de troubles à l’école qu’autre chose. La routine d’Amélia ne consiste qu’en une série de nuits dépourvues de sommeil, des journées de travail à s’occuper de personnes âgées pour ensuite repasser à l’école et gérer la nouvelle crise que son enfant à amener dans leurs vies. L’école a de plus en plus de difficultés à savoir de quelle façon s’occuper de l’enfant et la seule famille que semble avoir Amélia, sa sœur, la repousse de plus en plus. Elle n’a aucune seconde de répit et ne fait que dévoué toute son énergie et attention dans ce trou noir ingrat qu’est Sam, une parfaite métaphore pour la monoparentalité…sauf qu’il n’y a aucune métaphore.

The Babadook s’ouvre pour une vingtaine de minutes dans la vie des personnages sans même une mention de l’éponyme créature (un personnage de livre pour enfant louche). Il est mentionné lorsque Sam trouve le livre sur son étagère pour ensuite être rangé pour 20 minutes de plus. Par contre l’angoisse est instaurée et cette présence malveillante qui guette la maisonnée devient une partie intégrante de l’histoire, même si elle n’apparait que lors de quelques éclairs. Elle est loin d’être nécessaire pour que l’angoisse ait pris racine dans l’esprit du spectateur. La tension entre le fils monstrueux (malgré lui) et sa mère qui semble de plus en plus à bout suffit à nous mettre rapidement sur les nerfs. Lorsque le Babadook fait son entrée, la scène est mise en place, le décor est prêt, le rideau est levé, les projecteurs sont braqués sur lui et il n’a qu’à faire ce qu’il a à faire, puisque la dynamique familiale est plus que propice à sa venue. Ils sont au bord du précipice et une simple poussée du bout du doigt est nécessaire pour que tout bascule et cette tension qui monte sans arrêt dès l’ouverture nous met à fleur de peau, faisant de leur foyer l’endroit le plus tendu que l’on puisse imaginer.


Le Babadook qui traque et guette sans relâche la famille prend la place symbolique de la dépression conséquente d’un deuil mal géré et ils poussent cette idée à sa conclusion logique, un atout majeure dans la majorité des cas pour moi. Par contre, vers la fin du film il y a un revirement inévitable, résultat de toute la tension construite dans chaque scène et cela entraina une perte de puissance malheureuse dans l’horreur acquise jusqu’à ce point. En évitant le plus possible de citer explicitement ce qui se passe, comme dans beaucoup de films d’horreurs, la force antagoniste perd l’aura angoissant qui l’entoure lorsqu’elle prend une forme que l’on peut voir, toucher et définir. Même si le Babadook ne prend jamais forme en soi, puisque ce n’est tout simplement pas sa façon d’agir, une force maléfique se révèle, résultante des manipulations machiavéliques de la créature et le film est beaucoup moins tendu à partir de ce point. Ce n’est pas pour dire qu’il est moins bon, puisque les enjeux changent et l’idée de ce qui est à l’écran est horrible à un tout autre niveau, mais une force tangible et cernable est une force limitée et faillible, beaucoup plus humaine que surnaturelle ou psychologique. Un film moindre perdrait beaucoup d’intérêt à ce point, mais les personnages ont été si bien construits que leur sort devient important à nos yeux, peu importe le niveau d’horreur qui les entoures.

En conclusion, The Babadook est un film d’horreur qui offre un deux-tiers de films en maitrise parfaite de sa forme, mais qui s’égare quelque peu dans la dernière ligne droite.  À ce point, vous êtes soit embarqués ou non et les chanceux qui ont été agrippés par ce manège diabolique devraient être capable de fermer les yeux sur cette décision plus thématique que dramatique. Autrement dit, une perte (moindre) de la tension est malencontreuse, mais loin de gâcher un film qui réussit avec autant d’impact sur autant de niveaux (sans aucun « jump-scare »!) Une leçon d’ambiance et de ton merveilleuse (quand je dis merveilleux, je veux dire horrifiant).

MUK

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