mercredi 18 mars 2015

Game of Thrones (encore) : la durabilité d'une série-phénomène

Il y a un an j’ai écrit un texte sur le potentiel effet éphémère de Game of Thrones. Cette série pouvait-elle réussir le test ingrat du temps? Ou était-elle déjà condamnée à être un des plus gros phénomènes télévisuels qui se contient à une brève période pour ensuite sombrer dans l’oubli? Je n’ai pas offert de réponse puisque je voulais principalement exprimer mes réflexions et il est évident que rien ne peut répondre à cette question en dehors du passage du temps. Mais après avoir pris 1 an de recul et avoir réécouter la saison 4, j’ai réalisé une chose sur ce texte : il est stupide.



C’était une approche ridicule et je ne savais pas vraiment comment articuler mon commentaire, puisque nul part dans ce texte est-il clair que je critique plutôt la mythologie entourant la série et non la série en tant que telle. Je m’attaque à une série « sans thèmes », ce qui est loin d’être le cas et j’en parle comme si je n’y pensais que lorsque je l’avais sous les yeux. Lorsqu’un ami ou collègue entame une discussion sur GoT, il en ressort que c’est une série qui tourne autour de moments choquants, qui tue nos personnages favoris sans pitié et qui semble se complaire dans ce statut de punir son public pour leurs attachements fondés sur une vie complète d’habitudes narratives. Je n’avais même pas réalisé à ce moment que c’était la question que je voulais poser, optant plutôt pour une prise de position hautaine et abjecte, voulant me positionner au-dessus de cet aspect choquant et superficiel. Je réalise l’erreur dans mon raisonnement et je vais donc tenter de rediriger la discussion vers quelque chose de plus concret et réfléchi.

C’est une discussion qui s’annonce de plus en plus pertinente puisque j’ai lu l’ensemble de l’œuvre du Trône de Fer publiée à ce jour et je peux vous garantir que les moments qui ont fait la réputation de cette série sont principalement terminés. La mort de Ned Stark, les noces pourpres et violettes, le duel de la Vipère contre la Montagne résument l’ensemble des moments clés de cette série et rien qui n’arrive à la cheville d’un seul de ces événements n’a lieu dans les 2 tomes subséquents. Ce n’est pas pour dire qu’il n’y aura pas d’excitations, puisque les diverses aventures sont tout aussi intéressantes et ils peuvent facilement tuer des personnages secondaires pour garder l’atmosphère de « mort qui guette tout le monde ». Ils vont probablement prendre une liberté énorme pour surprendre tous (incluant les lecteurs)  et ainsi raffermir leur position de série distincte qui suit de moins en moins les rails mises en place par le livre. Par contre, je vais argument qu’ils n’ont pas besoin de faire cela puisque tous les autres aspects sont les véritables attributs qui vont soutenir le test du temps et vont faire de cette série quelque chose qui est digne d’être vu et revu même en dehors de la période d’engouement lorsque l’émission est diffusé.


En gardant en tête ma réécoute de la plus récente saison, j’approchais chaque nouvel épisode en regardant le titre pour me dire « oh, c’est l’épisode ou X ou Y se passe ». Chaque épisode contient un moment pivot qui mène généralement la conversation pour la semaine à venir, certains plus efficaces que d’autres. Il n’y a rien de nouveau à cela, le « cliffhanger » est une technique narrative qui peut être retracée jusqu’à l’Odyssée, mais Game of Thrones est défini dans la culture populaire par ses chocs narratifs. Les morts inattendues de personnages appréciés, les promesses d’excitations à venir et les revirements soudains du jeu des pouvoirs génèrent tant d’enthousiasme, de battage médiatique et de réactions sur les médias sociaux qu’il serait ridicule de ne pas donner aux fans ce qu’ils veulent. Mais après avoir pris conscience de ces développements, l’histoire devient ce qu’elle est et il faut ainsi l’observer telle quelle. Les moments surprenant devient normalisés et font partie du schéma narratif digéré, perdant, par nature, de leur momentum initial. Lorsqu’on observe les épisodes dans leur ensemble, avec un œil averti au courant des développements à venir, ils gagnent une toute nouvelle richesse et profondeur qui était d’abord éclipsée par le rush d’adrénaline que nous procuraient les morts et revirements inattendus.

Que ce soit la cinématographie à couper le souffle qui rend chaque épisode digne du grand cinéma à chaque semaine ou des jeux d’acteurs qui ont une si bonne maîtrise de leurs personnages et de l’univers qui les entourent qu’ils amènent tous un petit quelque chose à leurs moments à l’écran, tous les aspects méritent discussion. Brienne et Podrick qui errent dans les contrées dévastées fait partie des plus ennuyeuses lectures qu’il m’ait été de faire dans les dernières années (pour être juste, je ne lis plus autant qu’avant). L’auteur avait d’abord l’intention de faire une ellipse de quelques années entre deux livres pour en venir à l’excitante résolution, mais il décida à la place d’étirer l’histoire sur plus de 2000 pages. J’ai apprécié une grande partie de cet univers étendu, du contenu bonus à ce point-ci, mais je ne pouvais endurer la quête vers le néant du duo. À l’écran, les personnages ont une toute autre dynamique et offrent une once de légèreté et plaisir dans ce monde si lourd et sérieux. Couplé avec un paysage grandiose et une caméra intelligente et créative, ils insufflent mêmes les histoires qui lèvent moins d’un intérêt quelconque. En dehors de Bran qui avait parfois des difficultés à venir me chercher, chacune des intrigues qui s’étendent partout à travers le monde amenaient quelque chose de différent et d’intéressant dans la vaste tapisserie qui s’étend sous nos yeux dans cette télésérie magistrale. La combinaison de chacun des aspects de cette gigantesque production donne vie à un univers vrai et habité dans lequel nous avons eu la permission de jeter un coup d’œil par ci par là.


J’ai aussi adressé la question des thèmes dans la série d’une façon maladroite. Il est vrai que chaque épisode est si dispersé qu’il est évident que chaque émission ne peut accomplir une cohésion thématique qui soit toujours satisfaisante, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de ligne directrice. L’émission semble particulièrement intéressée par l’égo, l’orgueil, la perception de soi et leur place dans le jeu des pouvoirs. Touchant très évidemment aux qualités d’un dirigeant (nous avons déjà eu droit à deux discussions littéralement à ce propos), ils placent cette question dans un monde qui est une version tordue, mais étrangement près, de notre réalité. Une sorte de morbide vision de ce qu’aurait l’air notre monde s’il y avait des dragons et zombies des glaces *tousse tousse*métaphore environnementale*tousse tousse*. Game of Thrones prend effectivement place dans un univers fictif, a long time ago in a galaxy far far away, mais ne vous y méprenez pas, ils parlent de notre monde (comme toutes les histoires le font depuis toujours). L’adaptation au roman oblige la série à se tenir à jour sur un grand nombre d’histoires, ce qui rend difficile de donner un sentiment de tout unitaire qui n’est pas toujours présent, mais les meilleurs épisodes le font et résultent en des grands moments de télévision.


Je redoutais énormément le moment où j’allais devoir refaire face à « The Mountain and the Viper », puisque ce fut une expérience très désagréable qui m’a affecté pendant plusieurs jours. Par contre, tous les moments qui mènent à cet ultime climax (et qui ont presque tous rien à voir) étaient d’une incroyable force à eux seuls. La métamorphose de Sansa en adolescente gothique qui met en application toutes les leçons des dernières années et reflète la progression(/corruption) psychologique d’Arya, sauf qu’elle le fait en jouant avec les conventions plutôt qu’en les brisant, est d’une puissance digne des grands moments de la série. L’exil de Ser Jorah et la destruction d’une amitié qui durait depuis le deuxième épisode telle qu’interprétée par Emilia Clarke, qui n’arrive même pas à regarder le traitre, fend le cœur. La manipulation psychologie de Theon pour qu’il joue l’agent-double sans en être conscient met de l’avant plus que jamais la nature soumise et complètement brisée du personnage. Le monologue de Tyrion, dans un bref moment de mise en abime et le rire d’Arya marquent aussi énormément. Tous ces moments se partagent un seul épisode et vivent tous systématiquement dans l’ombre du duel (LE duel!) Je ne veux pas condamner puisque je comprends parfaitement le réflexe. J’étais aussi profondément affecté par ce moment et c’est la conversation que je recherchais à l’époque. Mais je réalise aujourd’hui que ce n’est pas ce qui va faire vivre cette série dans la postérité. Par contre, il va permettre à l’émission de devenir un phénomène culturel télévisé sans précédent et lui débloquer le budget nécessaire à faire vivre une bête aussi massive dans tout le luxe qu’elle mérite. Car sans le budget, Game of Thrones est bon, mais probablement loin d’être aussi majestueux (que ce soit au niveau des effets spéciaux, des costumes, des décors, des acteurs, etc.). Ils peuvent se permettre le nécessaire pour donner vie à un roman qui fut initialement écrit par un scénariste de télévision frustré d’écrire pour un médium dont les réalités l’empêchaient de pousser son imagination au maximum (pensez-y une seconde.) Comme le dit le vaillant enthousiaste des dinosaures John Hammond : « They spared no expense! »


En conclusion, lorsque j’ai écrit que Game of Thrones était possiblement un phénomène éphémère, je le pensais à moitié. J’ai utilisé une approche stupide, mais l’idée que construire une mythologie culturelle autour de moments clés ne peut qu’amener un objet narratif si loin n’est pas fausse. Par contre, une réécoute de la série offre un tout nouvel angle d’approche qui me donne beaucoup d’espoir pour les saisons à venir, puisqu’elles touchent à du matériel relativement médiocre et une sauce très très étirée (du calibre de la trilogie cinématographique du Hobbit). Accéléré le processus et couper les aspects inutiles démontrent une adaptation intelligente qui s’ajuste au médium et qui comprend l’art narratif efficace et on ne peut qu'apprécier.

MUK



Aucun commentaire:

Publier un commentaire