samedi 29 août 2015

Le Mirage

Directeur : Ricardo Trogi
Réalisé en 2015. Bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=xmr3aCAe2Dk
Synopsis : Un homme insatisfait de sa vie de privilège s'échappe constamment dans ses fantasmes égocentriques.


Parfois toute la réalisation et les performances intéressantes du monde ne peuvent sauver un film lorsqu’il est moralement pourri. Un thème mal traité peut rendre un film si abject qu’aucune autre conversation ne vaut la peine d’être eu autour du sujet et Le mirage est définitivement coupable de la propagation d’une idée rétrograde qui vient défendre le pauvre homme privilégié au pouvoir. Il met en vedette un véritable trou-du-cul autodestructeur (loin d’être un problème en soi, voir : The Wolf of Wall Street), mais entreprend ensuite de l’excuser en prétendant peindre un portrait de société qui fait de son protagoniste (un agresseur sexuel) la victime corrompu.

Patrick (Louis Morissette) est un homme blanc privilégié qui fantasme constamment, s’excitant à chaque petit détail sexuel dans son entourage. C’est un père de famille dans une relation monogame depuis plusieurs années, avec un palace équipé d’une cuisine à plusieurs milliers de dollars, une cours grande comme un parc de quartier, une piscine creusée et tout le luxe que l’on pourrait espérer. Mais il est malheureux puisqu’il est coincé dans cette routine frustrante de Métro-Boulot-Dodo (sans la partie métro, bien évidemment), il tombe donc au quart de tour dans ses mondes fantastiques de films pornographiques.

Un égocentrique individu détestable au centre d’un long-métrage peut être intéressant lorsque traité avec une conscience de la complexité de son sujet et de l’étendu des problèmes de l’homme qu’il met de l’avant. Mad Men comprend que son protagoniste est pathologique et que sa vision du monde est problématique, American Beauty couvre plus de territoire pour ne pas que s’intéresser exclusivement (encore) au regard de l’homme et Force Majeure et Little Children se moquent littéralement de leur patriarches en leurs impulsions gamines. Tous traitent de sujets similaires au Mirage, en beaucoup mieux.

Le plus gros problème avec Patrick, c’est que le film se positionne de son côté et veut en faire une victime de notre société de consommation, fanatique de la campagne (merci à une seule ligne de dialogue) qui fut corrompu par les désirs inatteignables de notre monde capitaliste. Chaque actions de connard accomplies sont ainsi automatiquement excusées et le film se déresponsabilise entièrement des entreprises malavisées de son sujet. De plus, dans une tournure misogyne, beaucoup du blâme pour sa condition se retrouve mis aux pieds de sa femme, de son burn-out, de sa basse libido et de ses constantes dépenses.

Chaque fois qu’une question de société est soulevée (le docteur, la psychiatre, la majorité des débats avec sa femme), le scénario prend le camp de Patrick et lui donne le dernier mot sur la majorité des questions de société, comme si sa vision était la seule qui voyait vraiment par-delà le mirage du capitalisme inassouvissable. Ce n’est que lorsqu’il se retourne vers les « vrais » valeurs de la campagne et de ses vrais amours (ses enfants avec lesquels il n’a aucune relation tout au long du film, donc son amour sort de nul part) qu’il peut être libre. On passe discrètement sous silence que sa liberté passe par l’abandon de ses enfants dans les bras de sa femme en burn-out dans une maison qui ne leurs appartient plus.

S’être commis à une vision plus restreinte et personnelle d’un personnage aux nombreux problèmes et ne cherchant pas à l’excuser pour ses actions, Le mirage aurait pu être un chef-d’œuvre d’un regard spécifique dans la vie d’un connard qui parait bien et décide d’abandonner toute prétention de savoir-vivre pour se laisser aller dans sa débauche. Mais en voulant offrir une fin et une morale proprette, clichée et confortable, la dissonance thématique vient fracturer le film entre une représentation d’un problème et une excuse ensuite de ce problème.

C’est comme si Wolf of Wall Street avait décidé de mettre de côté le regard objectif et complice pour au final mettre le blâme entier sur les pauvres naïfs qui se font escroquer dans la première partie. « Ce n’est pas de sa faute, il fut corrompu par un système trop facile à exploiter! Qu’est-ce que vous auriez voulu qu’il fasse le pauvre? Il était une si bonne personne avant que tous ces gens stupides lui laissent prendre de leur argent! Quel malheureux qui a attrapé la maladie du capitalisme! Ayez pitié! »

Oui notre système est problématique, mais Patrick n’en est pas la victime, il fait plutôt parti du problème, tel l’excellent Lou Bloom de Nightcrawler. Sauf qu’ici on n’a pas le courage d’aller au bout de ses idées et on ressent le besoin de rendre notre protagoniste « aimable » qui obtient finalement sa rédemption en abandonnant sa famille, plus ou moins de son plein gré.

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