mardi 9 juin 2015

Phoenix

Directeur : Christian Petzold
Réalisé en 2014. Avec : Nina Hoss (Nelly Jenz), Ronald Zehrfeld (Johnny) et Nina Kunzendorf (Lene Winter). 
Synopsis : une survivante de camp de concentration tente, pour le meilleur et pour le pire, de retrouver un semblant de normalité en revenant vers son ex-mari et leur relation malsaine.

L’antique figure de l’oiseau de feu qui se régénère peut évoquer beaucoup, que ce soit l’éphémère et paradoxalement l’éternelle selon le point de vue ou l’aspect cyclique de l’existence. Phoenix s’intéresse plutôt à la renaissance, cette accessibilité au nouveau départ qui ouvre tant de possibilité. Dans une utilisation presque ironique du symbole, le réalisateur, Christian Petzold, raconte l’histoire troublante d’une femme qui profite d’un renouveau pour se jeter dans les bras du passé, prête à pardonner aux causes de sa combustion.

Dans une histoire très personnelle, mais à l’ampleur symbolique immense, Nelly (Nina Hoss) survivante d’Auschwitz défigurée, revient à Berlin après la Deuxième Guerre dans l’espoir de pouvoir retourner à sa vie. Lorsqu’on lui offre la possibilité de repartir à neuf avec un nouveau visage, elle tient absolument à ressembler le plus possible à son ancienne soi-même. Malheureusement, elle ne se reconnait pas dans le résultat final. Transformée, autant physiquement qu’émotionnellement, par cette expérience, elle retourne vers son « veuf » qui lui non plus ne sait pas à qui il a affaire. Il entreprend ainsi de faire passer, aux yeux de la loi, cette nouvelle connaissance pour sa femme, survivante des camps de concentration, afin de toucher une somme importante d’argent de la famille.

Cherchant cette connexion désespérée avec son ancien amour, Nelly se fait passer pour une étrangère et s’intègre de plus en plus dans la vie d’un homme que tout indique comme étant mauvais et lâche. Par contre, par soucis de réconciliation et d’un retour à la normalité, elle compromet et se soumet à ses moindres exigences, sans jamais vraiment recevoir d’affection ou de gratitude en retour. Ce désespoir perpétuel brise le cœur puisqu’il tombe dans l’abus émotionnel involontaire, demandant toujours plus de cette femme qui doit sans arrêt s’effacer pour devenir celle dont il a besoin.

Les indices qui s’accumulent sur les méfaits passés de l’homme le rendent de moins en moins aimable et son côté contrôlant et brusque donne une vision plutôt sombre du mariage avant même que l’Holocauste s’en mêle. Par contre, un habile contrôle de la mise en scène et un jeu très empathique de l’actrice principale garde toujours l’état d’esprit de Nelly en première pensée. Il est évident que revenir avec cet homme est toxique, mais pourtant on ne condamne jamais la pauvre femme pour autant.

Elle fait office de figure tragique, représentante d’un peuple qui est prêt à pardonner beaucoup pour retrouver le semblant de vie d’antan. Il n’est pas ici question de famille, de luxe, de confort, mais d’une identité cruciale pour centrer son existence. Tandis que son amie ne peut que voir l’échappatoire comme solution, la protagoniste efface cette nouvelle elle modifiée par ses expériences pour offrir une pâle copie de sa personne, tel un phénix qui se relèverait de ses cendres pour immédiatement partir à la recherche de son ancien plumage usé qui ne lui fait plus. Il est évident pour tous sauf Nelly qu’ignorer ce changement est une impasse.

L’interprétation de Nina Hoss danse sur une fine ligne qui doit garder l’attention du spectateur dans une production minimaliste sans tomber dans le mélodramatique ou la victimisation. Son désespoir à fendre le coeur est si manifeste que les efforts de cette femme ne sont jamais perçus comme stupides, ce qui réduirait le personnage et sa lutte. Même si malsaine, cette quête reste très humaine et l’actrice y amène une grande sensibilité qui invite à comprendre cette obsession de se regarder à travers les yeux d’un homme qui en voit une autre et la dirige et la déguise en conséquence.


Dans un film qui  fonctionne autant au niveau dramatique que thématique sans qu’un dépende de l’autre, Petzold offre une vision particulière d’une lutte complexe d’un monde qui tente tant bien que mal de se remettre d’un traumatisme. Une finale aussi simple qu’efficace raffermit cette expérience particulière et émouvante. 

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