mardi 3 février 2015

A Most Violent Year

Directeur : J.C. Chandor
Réalisé en 2014. Avec : Oscar Isaac (Abel Morales), Jessica Chastain (Anna Morales), Albert Brooks (Andrew Walsh) et David Oyelowo (D.A. Lawrence)
Bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=o87gG7ZlEAg



L’intrigue de l’immigrant qui gravit les échelons dans le milieu du crime organisé est une histoire qui fut racontée des centaines de fois. C’est un récit aujourd’hui archétypal de notre jeune Amérique du Nord, terre des promesses, des nouveaux départs et du melting pot européen. Ainsi, entendre pour une énième fois l’histoire des complexités morales d’un monde où le fort mange le faible et où l’expansion n’a d’égale que l’ambition et la faim de l’homme d’affaire plus souvent qu’autrement vorace ne m’intéressait pas particulièrement. A Most Violent Year surprend dans son approche beaucoup plus calme et terre-à-terre de son sujet, surtout lorsqu’on considère le titre trompeur. Abel Morales ne tente pas de devenir le plus gros par tous les moyens nécessaires, mais tente, malgré une tension grandissante, d’assouvir ses ambitions sans tomber dans l’inévitable cycle de la violence qui ne fera qu’engendrer plus de violence.

Le protagoniste entrepreneur n’a aucune intention de jouer dans le trafic de produits illégaux, que ce soit de la contrebande ou des drogues. Son entreprise est (presque) entièrement capable de se tenir devant la loi sur les points auxquels une organisation dans le genre ferait face dans tous les autres films typiques. Ici, les quelques entraves au système judiciaires semblent mineures (fraude, évasion fiscale, etc.) et une préoccupation secondaire face à la violence en périphérie qui tente constamment de s’enraciner dans les affaires d’Abel. Son opposition à la chose n’est pas tant idéologique que pratique. Ils ne sont pas encore assez gros et importants pour s’en sortir avec des infractions plus graves sur des individus plutôt que sur papier. Il y a un traitement de cette violence qui semble désintéressé par toute la glorification à laquelle elle a généralement droit.


Le récit a pour centre un couple de protagonistes qui sont tous deux des sujets fascinants. Jessica Chastain est la plus forcenée des deux, qui n’hésite jamais à prendre les choses en mains et même se les salir lorsqu’il le faut sans jamais cligner des yeux. C’est une femme complexe qui fait partie, à part égale, de l’entreprise et sa touche se retrouve à chaque décision prise, même lorsqu’elle est absente. Sa détermination s’applique autant à la progression de leurs affaires qu’à sa survie et celle de sa famille, encore une fois, vulnérable aux possibilités d’agressions qui les entourent constamment.

Oscar Isaac est d’un calme incroyable dans un rôle presque diamétralement opposé à Al Pacino dans Dick Tracy (que j’ai vu la veille pour la première fois)*. Comme la réalisation du film, il est très contrôlé et concentré sur son objectif, ne se permettant jamais de se perdre. Même lorsqu’il est en colère, il garde une maitrise de soi qui cimente ce personnage bien au sol, nous happant dans sa charismatique domination de ses émotions. Il n’y a aucune prétention dans ses interactions et sa froideur perçu se révèle en fait être une précision au laser de sa concentration.


L’œil de J.C. Chandor offre une périphérie new-yorkaise riche de visuels qui rendent le film magnifique. Qu’il pointe sa caméra vers l’ensemble de la ville ou un métro tapissé de graffitis, il peint un portrait distinct de son environnement qui lui donne une touche personnalisée très léchée. La direction artistique tape dans le style des années 80 sans jamais être dérangeant ou trop attirer l’attention sur les fanfreluches de l’époque. Les costumes et maquillages restent très solides et glamours tout en étant sobre et s’ajustent au style de vie des personnages et à l’ensemble thématique du film qui cherche à ne pas trop se faire remarquer.

En conclusion, A Most Violent Year réussit à trouver une approche nouvelle et fraiche à l’histoire d’une entreprise naissante qui cherche à s’établir et gagner ses lettres de noblesses dans un monde qui semble intéressé par tout sauf le changement. Ancré dans deux performances (et il n’y a pas que ces deux) qui méritent à elles seules le détour, la fâcheuse réalisation inévitable qu’il faut toujours une certaine immoralité pour avancer dans cet environnement prend sa place dans le canon cinématographique du véritable rêve américain.

MUK

*Je suis conscient que la comparaison n’apporte rien de très pertinent à la conversation, mais cette performance d’Al Pacino est si peu connu, plaisante et époustouflante que je dois la mentionner, c’en est plus fort que moi.

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