mardi 28 novembre 2017

Lady Bird

Réalisatrice : Greta Gerwig
Synopsis : Christine "Lady Bird" McPherson doit survivre une dernière année de secondaire dans sa ville natale avant de pouvoir quitter pour les études supérieures, idéalement sur la côte est.


Un des gestes cinématographiques les plus féministes que l’un puisse faire est de peindre avec empathie le portrait d’une femme imparfaite. Le déséquilibre sexiste au cinéma vient, entre autres, de cette habitude de présenter les femmes comme n’existant que dans les périphéries des histoires des hommes, comme des mères, femmes ou objets de désirs. Elles sont des fonctions plus que des individus. Résultant de cette habitude vient donc le problème qu’elles sont rarement nuancées. Elles seront révérées et adorées pour leur perfection ou démonisées pour leurs failles, ce qui ne laisse aucune place pour la femme réelle, celle qui est une personne avec des défauts ET des qualités. Présenté de cette façon, il semble ridicule que ce portrait nuancé soit une étape à franchir et non la norme, mais c’est à ce point que nous en sommes. Lady Bird, protagoniste titulaire du film éponyme, est une telle icône, définie autant par ses qualités et ses défauts, au sein d’un excellent film remarquable pour son charme et son authenticité.

Que Lady Bird, réalisé et scénarisé par Greta Gerwig, propose un regard aussi nuancé n’est pas si surprenant considérant la présence au cinéma de Gerwig comme actrice (Frances Ha, Mistress America20th Century Women), qui se spécialise dans ce genre de rôle. Avec ce scénario autobiographique, elle confirme qu'une expérience de vie, même la plus spécifique, peut devenir universelle, lorsque présentée avec réalisme et intelligence. À travers cette dernière année que passe Christine/Lady Bird dans sa ville natale de Sacramento, il est facile d’y voir le reflet de notre propre adolescence, période confuse, de changements et de développements physiques, qui ne se traduisent pas nécessairement au niveau de l’intellect. C’est cette période où tout est gris, où on développe une autonomie nettement supérieure à l’enfance, sans avoir la liberté et le bagage d’un adulte. Lady Bird, ambitieuse, curieuse et affamée, se lance dans la vie avec espoir et entrain, sans pour autant avoir la rigueur, la patience ou l’énergie de faire suivi sur ces ambitions.

Toute la complexité et le chaos de cette période sont représentés avec authenticité grâce un montage et un scénario qui arrive à peine à suivre l’attention éclectique de sa protagoniste. Les éléments vont et viennent dans son entourage sans toujours avoir de conclusions satisfaisantes et passent de « chose la plus importante » à « oublié » au gré des humeurs d’une adolescente qui se cherche. Ce passage à l’âge adulte est aussi défini par des frictions avec les parents, envers qui il est facile d’être ingrat, inconscient du réel travail quotidien qu’ils mettent dans un environnement que l’on tient pour acquis. Cette dynamique est un des éléments les plus poignants du film, avec les performances pleines d’humanité de Laurie Metcalf et Tracy Letts qui, en marge de l’histoire de Lady Bird, font de leur mieux pour offrir à leurs enfants un milieu sain et stable, que leur fille ne peut s’empêcher de dénigrer. Sans être les centres d’attentions, ils sont part intégrante du récit de Lady Bird, avec leurs frustrations et leurs affections envers la protagoniste qui servent à en souligner ses traits de caractère les plus définitifs. Que l’on puisse autant se reconnaitre dans les parents que les adolescents est une des marques de la grande maturité de ce film.

L’auto-baptisée Lady Bird est interprétée par la toujours talentueuse Saoirse Ronan, qui offre ici une des grandes performances de sa jeune carrière (ne jamais oublier Hanna!) Elle informe son jeu de cette panoplie de paradoxe qui définit l’adolescent; elle est à la fois menée par ses sentiments et brutalement inconsciente de ce qu’elle désire vraiment, intrépide et fonceuse, mais manque de confiance en elle, nous assure avoir compris un monde qui pourtant la confond et la submerge constamment et ne peut attendre de s’échapper d'un environnement dont elle dépend clairement. L’adolescent est un être à la fois complexe et simple malgré lui et Ronan incarne le tout avec autant de justesse que d’aisance qu'il faut le voir pour le croire.

Le passage à l’âge adulte est le sujet d’un si grand nombre de récits qu’on croirait en avoir fait le tour, et pourtant! Tous vivent chacun leur période de transition individuelle en cherchant l’intimité. C’est lorsque quelqu’un a le courage de mettre sur grand écran cette période peu glorieuse d’une vie avec sincérité qu’on obtient une capsule temporelle à laquelle tant peuvent s’identifier sans pour autant avoir vécu les détails spécifiques. Greta Gerwig fait tout cela, et même plus, avec son premier effort de réalisation - un accomplissement qui, dans un monde juste et sensé, devrait lui ouvrir beaucoup de portes.

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