Directeur : Todd Haynes
Réalisé en 2015. Bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=EH3zcuRQXNo
Synopsis : Dans les années 50, une employée de magasin de jouet (Rooney Mara) entre en relation avec une femme riche et distinguée (Cate Blanchett) en processus de divorce.
Le danger des films d’époques qui adressent la
question des tensions sociales (homosexualité, droit des femmes, des personnes
de couleurs, etc.) est de tomber dans la facilité bonbon qui souligne à quel
point nous sommes aujourd’hui si tolérant et ouvert d’esprit. On montre à un
public une certaine horreur (la déshumanisation systématique), pour qu’ensuite
on retire toute proximité au problème en rassurant l’audience contemporaine qu’ils
n’ont pas à s’en faire et que ce sont choses du passé (ce qui est plus souvent
qu’autrement un mensonge). On flatte dans le sens du poil en ignorant la
réalité.
Carol règle ce problème en usant de subtilité et de tact.
Le stigma est présent, mais se fait à peine plus sentir que dans La vie d’Adèle, qui lui se déroule dans
notre monde moderne. En gardant en tête avant tout son couple central, il peut
faire ressortir autant les bons côtés que les mauvais de cet amour « interdit ».
Leur vie n’est pas que misère et désespoir, mais la société impose certains
sacrifices pour être heureux, n’ayant jamais droit au bonheur, droit inné de n’importe
quel citoyen hétérosexuel.
Même si nous sommes dans un contexte d’amour qui ne s’ajuste
pas aux contextes hétéro-normatifs, le cœur de l’histoire de repose d’abord et
avant tout au sein de cette relation entre deux individus. Carol est un film d’amour, une valse gracieuse à deux qui se danse
surtout en regards et en non-dits. C’est à travers une cinématographie hypnotisante
que Haynes nous intègre dans cette relation, annexant nos regards à ceux de ses
protagonistes pour faire ressentir chaque moment, ses allures et ses textures.
Malheureusement, l’esthétique impeccable du film n’est
pas aussi invitante que l’on espérerait. Cette grâce donne un côté distancé au
film, quelque chose de soigné, qui donne l’impression d’arriver dans une maison
de gens très fortunés et bien ordonnés qui rend malaisé de s’asseoir sur un
divan de peur de froisser un coussin, un endroit où éternuer semble déplacé.
Heureusement, lorsque la relation explose à travers une détente bienvenue et
que le contrôle de la titulaire Carol sur l’intrigue lui échappe, on peut peu à
peu se permettre de s’étendre et mettre nos pieds sur le pouf.
La grâce de la photo n’a d’égale que celle de Cate
Blanchett, qui commande ce film avec une maitrise qui pourrait envouter la plus
fidèle des hétéros. Il n’est jamais surprenant que la Therese de Rooney Mara se
laisse charmée par cette grande dame riche qui représente la promesse de tout
ce qui manque à son existence. Aussi grandiose que Blanchett soit, c’est la
performance de Mara qui m’a le plus séduit, avec ses sourires timides et son
jeu dédramatisé qui transmet une évolution impressionnante et des nuances délicates.
Malgré un léger chevauchement thématique avec Far from Heaven, son précédent film sur
les problèmes interpersonnels liés à des stigmas sociaux, Todd Haynes livre un produit
somptueux. Le visuel immaculé garde à distance, mais la caméra observe d’une
façon à ce que notre œil soit constamment occupé et titillé. De plus, le duo d’actrices
amène toute l’humanité nécessaire au film et leurs jeux de regards nous
laissent sur un plan final qui résonne dans l’esprit longtemps après être sorti
de la salle.
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